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mercredi 8 février 2012

La leçon de Cinéma de JEAN JACQUES ANNAUD


Ne pas confondre postsynchro ou "synchro" avec doublage. On utilise le premier terme quand le même acteur réenregistre sa propre voix, on dit "doublage" quand un autre acteur remplace la voix de celui qui est a l'écran.
Par hasard, puis par choix, j'ai toujours postsynchronisé une proportion de mes films beaucoup plus grande que celle des films de la plupart de mes collègues. Pour mon premier film La Victoire en chantant le budget était si étriqué que mon malheureux ingénieur du son avait dû s'accommoder des conditions très bruyantes du village africain où nous avions tourné. Son ouie comme le reste de ses sens étaient aussi très occupés par le gazouillis d'une très jolie jeune fille locale si bien que les dialogues étaient souvent inaudibles. Mon producteur suisse m'a tout fait refaire en postsynchro pour la version export intitulée Black and White in Color. Je le bénis. J'ai entièrement resynchronisé La Guerre du feu. Même si la langue inventée était incompréhensible, il y avait beaucoup de texte. Or, j'avais dans chaque scène des éléments perturbateurs. Ventilos pour le vent, machines à fumée pour les brouillards, buses à gaz pour les innombrables feux de toutes tailles, titre oblige, qui rendaient la bande son originale inutilisable. J'ai tout refait. Sans parler de la tribu des "Ivakas" pour laquelle Anthony Burgess et moi n'avions pas eu le temps d'inventer un dictionnaire. J'ai tourné avec des Indiens du Kenya qui disaient n'importe quoi. Je les ai doublés avec des Inuits du Grands Nord canadien qui disaient n'importe quoi. J'avais construit le monastère du Nom de la Rose sur une colline pas trop loin de Rome. C'était pratique pour les techniciens. Mais, au pied du monastère de carton, passait une autoroute et la ligne ferroviaire. On avait été repérés par un tour operator qui vendait aussi des excursions en dirigeable Goodyear au-dessus du décor. Le boudin à moteur passait vers 16 h, juste entre le train de Naples et celui de Florence. Après nous avons tourné les intérieurs à Cinecitta. Les murs et les sols de pierre étaient en bois et en plâtre. Les dalles du cloître grinçaient comme un parquet. Sean Connery avait froid et ses moon-boots hors champ faisaient "mouic-mouic" au lieu du "clac-clac" des sandales qu'il était supposé porter, en peau de chèvre de Franciscain garanti d'époque. 98 % du film a été refait en postsynchro. Seule une petite scène de Sean avec Christian Slater dans leur cellule a été sauvée en original. Pour L'Amant ma comédienne venait de Pinner, une banlieue déshéritée de Londres et elle avait un accent de zonarde. Quand à Tony Leung, le "Chinois", il baragouinais un anglais que nul, surtout lui, ne pouvait comprendre. La première s'est entièrement postsynchronisée après avoir pris des cours de prononciation chez le "voice coach" de la Reine (hihi !) et Tony m'a laissé faire son "re-voicing" avec un acteur chinois de Londres qui a imité l'original et entièrement doublé le rôle. Bon j'arrête, je sens bien que je lasse. Pour Sa Majesté Minor la proportion est moindre, sauf pour Vincent Cassel. Il a souhaité entièrement se postsynchroniser pour améliorer son jeu, pourtant excellent dès le départ. Il est vrai que Vincent a un sens du rythme inouï et qu'il retombe pile-poil dans ses mouvements de lèvres en affinant, c'est vrai, la prononciation et les nuances d'intention. Avec José, autre petit génie de la postsynchro, il s'agissait plutôt du coup classique où le texte était bouffé par des éléments indésirables : couinements de cochon hors champ, grincement des grues qui le tenait suspendu tête en bas, grattement du costume sur le micro HF, passage d'un avion ou d'un chalutier dans le lointain… José a refait 50 % de son texte. Lui aussi a amélioré, peaufiné, gagné par rapport à l'original. Une semaine de boulot de 8 h à 20 h pour nous deux, ainsi que pour Marion la jolie "directrice de synchro", son assistant, l'ingénieur du son et le perchman. Tous les acteurs y sont passés. En tout, quatre semaines pleines de travail intense, plus une semaine de raccords par petits bouts ici et là, y compris les foules (je rappelle que je tournais en Espagne et que la plupart de mes figurants jouaient en valencien, catalan, castillan…). Certains metteurs en scène, me dit-on, n'assistent pas à la postsynchro. Ils considèrent, qu'il s'agit de pure technique. Le jeu d'un acteur, les émotions qu'il dégage sont AUSSI de la technique, mais surtout cette autre chose qui nécessite à mon sens direction et motivation. Pour moi, la synchro, c'est comme un second tournage. Sauf que je suis dans le noir toute la journée, vautré sur un canapé en retenant mon souffle, au lieu de gambader dans la garrigue dans les odeurs de serpolet.

La guerre des mondes : ADR/Rythmo.

Il y a deux méthodes de postsynchro, la méthode universelle dite "ADR" et l'exception française dite "à la bande rythmo". Chacun jure que l'une est supérieure à l'autre. Je pratique les deux avec plaisir.


ADR : l'acteur redit son texte face à sa propre image projetée devant lui en sections courtes, phrase par phrase, en écoutant l'original dans un écouteur qu'il tient contre l'une de ses oreilles. Avantage : très bon synchronisme. Inconvénient : difficulté de restituer le souffle des émotions sur de si petits bouts.

Bande rythmo : l'acteur face à son image lit le texte de la scène qui défile en même temps au bas de l'écran. Le texte est écrit à la main par des calligraphistes hautement spécialisés qui ajustent la longueur de l'écriture au rythme de la prononciation qui a été détectée. L'acteur doit parler quand le mot touche une barre rouge. Inconvénient : au lieu de regarder les expressions qui étaient les siennes, l'acteur lit son texte. Synchro moins précise. Avantage : celui des pays latins. Moins de précision, mais plus de charme sur l'ensemble de l'interprétation, généralement plus cohérente sur la continuité de la scène.
source : http://jjannaud.blog.toutlecine.com

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