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mercredi 2 novembre 2011

Serge Tisseron parle de TINTIN


Tintin, le film : De La Castafiore à Rackham le Rouge, le secret de la filiation

A l'occasion de la sortie du film "Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne", Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, revient sur la psychologie des personnages de la bande dessinée d'Hergé. Saviez-vous qu'elle renferme un secret de famille ? Mille sabords
 
 
> Par Serge Tisseron Psychiatre et psychanalyste

Edité et parrainé par Amandine Schmitt

Un secret traverse les aventures de Tintin, celui d’une filiation mystérieuse [1]. Ce secret pesait sur Hergé parce qu’il pesait sur son père. Celui-ci, né d’un géniteur inconnu, mais illustre [2], avait un jumeau, et tous deux, nés d'une humble servante, avaient eu leurs études et leurs vêtements payés par une véritable comtesse jusqu'à leurs quatorze ans. Enfin, ils avaient été reconnus par un "père" de passage, aussi énigmatique que le géniteur inconnu. Mais deux pères inconnus ne font pas un père réel. Tout juste peuvent-ils provoquer une obsession du dédoublement !

La Castafiore représente donc les deux femmes qui ont contribué à garder le secret sur l’identité du géniteur : quand elle est diva, elle incarne la mystérieuse comtesse ; et quand elle est la Marguerite de l'opéra de Gounod, elle incarne la grand-mère paternelle de Hergé, pauvre servante séduite et abandonnée par un homme très au-dessus de sa condition. Rien d’étonnant donc si elle ne parvient jamais à donner au capitaine Haddock – dont Hergé a dit qu’il le représentait – son véritable patronyme. Elle le nomme Harbock, Kapock, Madok, et de beaucoup d’autres façons encore, mais jamais Haddock !


C’est justement ce qui est arrivé dans l’histoire familiale de Hergé : ni sa grand-mère paternelle, ni la fameuse comtesse, n’ont jamais révélé aux jumeaux le nom de leur père. Les deux Dupondt, qui incarnent l’oncle et le père de Hergé, ont deux patronymes différents parce que ceux ci avaient deux pères, le géniteur mystérieux et l’ouvrier qui les a reconnus. Ils s’acharnent à tenter de découvrir une vérité condamnée à leur échapper sans cesse.

Enfin, Tintin, Haddock et Tournesol sont les trois facettes de la personnalité de Hergé confronté à ce secret. Le premier s'acharne à résoudre toutes les énigmes. Le second, alcoolique et désespéré, incarne la face sombre de Hergé. Il est précédé sur ce chemin par Milou, aussi divisé entre le bien et le mal que Tintin est intègre. Quant à Tournesol, le sourd qui refuse d’être appareillé, il incarne la tentation du repliement face à un secret insoluble.

Voilà pour Hergé. Or, étrangement, Spielberg multiplie dans son film les références à la dette et à la loyauté entre les générations. Sakharine, qui est un personnage secondaire chez Hergé, devient un descendant de Rackham qui en a exactement la même apparence. Son ancêtre a été tué par le Chevalier, il a donc décidé de tuer le descendant de celui-ci, le capitaine Haddock. D’autant plus que Rackham, en mourant, a lancé une malédiction contre les descendants du Chevalier.


Mais en même temps, Sakharine doit garder le capitaine en vie car la légende raconte que seul un authentique descendant du Chevalier peut découvrir son secret. Enfin, alors que dans les albums de Hergé, le capitaine découvre l’histoire de son ancêtre à l’intérieur d’un vieux coffre abandonné dans son grenier, Spielberg imagine qu’il l’a recueillie de la bouche même de son grand-père. Dans le film, la légende est vivante et elle est transmise de bouche à oreilles à travers les générations.


Du coup, je ne serais pas étonné que la suite prévue par Spielberg soit centrée sur la découverte du parchemin par lequel le roi Louis XIV fait don du Château de Moulinsart au Chevalier. Un parchemin dans lequel le Roi appelle celui-ci son "cher et aimé François", ce qui m’a mis, en 1982, sur la voix de comprendre les Aventures comme une œuvre cryptée racontant le secret d’une filiation prestigieuse.



D’ailleurs, lorsque Tintin découvre, au début du film, le blason de Moulinsart représentant un poisson surmonté d’une couronne, il s’exclame : "Un haddock, c’est donc bien le château de la famille des Haddock" ! Il lui reste à comprendre la signification de la seconde moitié de ce blason : la couronne. Car elle est le signe de la filiation qui unit le roi Louis XIV à son "cher et aimé François", autrement dit à son fils secret.



[1] J'ai découvert ce secret à partir de la seule lecture des albums avant que, quelques années plus tard, son existence soit confirmée par des recherches biographiques (Cahier Confrontation 8, octobre 1982, et Tintin chez le psychanalyste, Ed. Aubier, 1985).



[2] Tintin et le secret de Hergé, Ed. Hors Collection, 1993.



http://leplus.nouvelobs.com/contribution/210035;tintin-le-film-de-la-castafiore-a-rackham-le-rouge-le-secret-de-la-filiation.html

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