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jeudi 22 décembre 2011

Cinéma : la fin des industries techniques françaises ?


Par EMMANUEL BERRETTA
La faillite des laboratoires LTC mêle concurrence effrénée entre laboratoires, désinvolture des producteurs et imprévoyances du CNC.


Evoquer l'histoire des industries techniques françaises du cinéma en évitant les termes "chaos", "fiasco", "gâchis" et "bêtise" ? Difficile. Ces mots fâcheux qualifient assez le sort réservé aux laboratoires français avec la fermeture de LTC qui jette à la rue 115 salariés. Personnage incontournable de ce drame, Tarak Ben Ammar, le propriétaire de LTC, déplore, quant à lui, l'attitude à son égard des producteurs de films et des autorités publiques. De fait, le concurrent Éclair se trouve aujourd'hui en situation de monopole sur le sol français. Ben Ammar évincé ? Pas tout à fait. L'homme d'affaires était certes majoritaire dans LTC, via son groupe Quinta Communications, mais il possède également 43 % d'Éclair, son concurrent.


Une main sur l'un, un pied dans l'autre. Tarak Ben Ammar rêvait, au printemps 2008, d'organiser la fusion LTC-Éclair. La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) avait posé des conditions, en termes d'emplois, qui l'en ont dissuadé. "Contrairement à ce qu'affirme Tarak Ben Ammar, Christine Albanel n'était pas défavorable à la fusion LTC-Éclair", affirme l'entourage de l'ancienne ministre de la Culture. Les producteurs, eux, redoutaient cette concentration et ses conséquences en termes tarifaires. Moyennant quoi la fusion, abandonnée hier, aboutit aujourd'hui au même résultat : Éclair est désormais la seule enseigne.

L'incroyable désinvolture des producteurs

Les producteurs de films, qui s'effarouchent de la situation, ont toutefois leur part de responsabilité dans la faillite de LTC. Ils ont profité à plein de la concurrence effrénée à laquelle se sont livrés les laboratoires, accordant de nombreuses remises et des délais de paiement à 180 jours. Mieux ! Les labos ont servi de banquiers (!) aux producteurs qui se sont gavés et ont laissé d'énormes factures impayées. Ne parvenant pas à boucler leur financement, ils promettaient de payer les laboratoires sur les recettes du film. Les succès, comme on le sait, sont rares en salle... Au cours des quinze dernières années, l'ardoise des producteurs vis-à-vis de LTC s'élève ainsi à... 39,1 millions d'euros ! Pour la seule année en cours, les laboratoires LTC possèdent ainsi des créances importantes auprès de grands noms du cinéma français : 772 976 euros à la charge EuropaCorp (Luc Besson), 858 570 euros à la charge de Mars Distribution, 410 368 euros à la charge de Miroir Magic Cinéma, 399 390 euros à la charge de Studiocanal, 346 609 euros pour La Vérité Production, 239 860 pour Pathé... La liste est longue.

En dehors de l'attitude désinvolte des clients, les laboratoires ont subi le choc structurel de la révolution numérique. Le photochimique, la pellicule, est voué à mourir. On le sait depuis longtemps. En octobre 2002, le rapport Couveinhes puis le rapport Goudineau, d'août 2006, proposaient des pistes pour anticiper la mort de la pellicule. "Le CNC n'a pas joué son rôle il y a dix ans. Il aurait pu, à l'époque, organiser la transition des industries techniques du photochimique au numérique, déplore un observateur avisé du septième art. C'est trop tard. Le CNC ne s'intéressait pas à ce genre de questions et les industries techniques n'ont jamais vraiment été considérées comme faisant partie de la grande famille du cinéma." D'autres objectent que Bruxelles se serait sans doute opposé à ce que le CNC aide les laboratoires.

La numérisation des oeuvres ajournée

Le coup de grâce a été donné lorsque l'immense succès du film Avatar, de James Cameron, a rendu obsolètes les salles qui ne pouvaient faire de la 3D. Dès lors, le CNC, sous l'impulsion de Véronique Cayla, a accéléré la numérisation du parc des salles. En juin 2011, déjà 2 686 écrans, soit 48,9 % du parc, étaient équipés pour la projection numérique. Les subventions sont allées aux exploitants de salle au moment même où les laboratoires devaient consentir à des investissements pour renouveler leurs équipements. Tarak Ben Ammar nourrissait un dernier espoir : l'argent du grand emprunt qui devait servir à la numérisation de 10 000 films du patrimoine français.

La numérisation de la crème du cinéma français, sa mémoire, aurait pu rapporter entre 50 000 et 60 000 euros par long-métrage. Les fonds devaient être débloqués en septembre. Deux ministres (Frédéric Mitterrand et Éric Besson), lors du dernier Festival de Cannes, avaient signé l'accord en grande pompe. La crise financière a tout gelé. Le dossier Gaumont, premier de la liste, vient d'être ajourné... Ne voyant rien venir, LTC, étranglé, a plié la voilure. Éclair est désormais seul. Le CNC osera-t-il braver Bruxelles et élaborer la politique industrielle qui fait aujourd'hui défaut dans ce secteur ravagé ?

Le Point.fr - Publié le 21/12/2011

La faillite des laboratoires LTC mêle concurrence effrénée entre laboratoires, désinvolture des producteurs et imprévoyances du CNC.


Par EMMANUEL BERRETTA



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