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mercredi 12 décembre 2012

MA BICHE


Interview de Claude Gensac parue le Jeudi 11 Août 2011 par Nicolas Dewaelheyns et "piochée" sur soirmag.lesoir.be  

"Elle incarna longtemps l’épouse de Louis de Funès sur grand écran, nous ouvre les portes de sa propriété de Normandie. Souvenirs et confidences.
Le chant d’un hibou nous accueille dans une verte et fleurie propriété normande lorsque la maîtresse de maison, Claude Gensac, nous ouvre la porte, heureuse de nous recevoir. « Ce n’est pas un château. Ce n’est pas une maison particulière. C’est un petit manoir anglo-normand qui date de 1850. C’était ce dont j’avais besoin et envie. Je l’habite depuis 1989. J’ai toujours aimé la campagne. » Celle qui, longtemps, incarna l’épouse de Louis de Funès sur grand écran nous accueille avec le sourire et le regard qui pétille. Autour d’une délicieuse tasse de café et de quelques biscuits, Claude Gensac se replonge au cœur d’une carrière exceptionnelle, marquée par la forte complicité qu’elle a toujours entretenue avec Louis de Funès. Rencontre avec une femme passionnante, drôle et attachante.

Vos petits-enfants vous rendent très régulièrement visite, ici, en Normandie. Quelle grand-mère êtes-vous ?


Je ne suis pas une très bonne grand-mère. Je commence seulement à être très complice avec l’aîné, Gabriel, qui va avoir 13 ans. On discute ensemble. Ma petite-fille Olivia a 9 ans. Ils étaient heureux quand ils sont venus me voir sur scène dans “La perruche et le poulet”. Les professionnels disaient que cette pièce - elle est vieille de quarante ans - était désuète et poussiéreuse. Pourtant on avait des salles pleines partout où on allait jouer. Pendant deux ans, nous avons connu un succès extraordinaire. C’est une œuvre remarquable. À part “La cage aux folles” de Poiret et Serrault, je ne connais pas d’autre pièce qui ait connu un tel succès. À la fin du spectacle, mes petits-enfants criaient : “Bravo grand-mère !” (Elle rit.) Et il paraît que tout le monde riait autour d’eux.

Aujourd’hui, vous avez de nouveaux projets de pièces de théâtre ou de films ?

Pour les films, depuis que c’est la crise, les producteurs sont tous à la recherche d’argent. C’est le cinquième film que je devais tourner qui est annulé par manque de sous. Ainsi notamment un téléfilm avec Michel Galabru. Quand Louis de Funès est mort en 1983, les producteurs de cinéma m’ont enterrée en même temps que lui. Je n’ai plus reçu aucune proposition de film. Lorsque je tournais avec Louis, j’étais obligée de refuser les autres films parce que je ne savais jamais si j’allais tourner avec Louis pendant trois ou quatre mois. Maintenant, ces films qu’on me propose ne voient pas le jour… Même si depuis quatre ou cinq ans, je recevais une foule de propositions.

Comment l’expliquez-vous ?
Je ne sais pas. Ils se sont sans doute aperçu que j’avais du talent. (Elle rit.) J’ai même entendu une productrice dire : “Oh, non, elle va nous faire du de Funès !” Or, en ce qui me concerne, je peux pratiquement tout jouer, des rôles comiques, tristes, dramatiques… J’ai débuté en jouant des tragédies, et je ne faisais que ça ! En France, les producteurs ne vont plus voir les comédiens dans des spectacles. Ils ne vont plus voir les films. Ils ne connaissent plus les acteurs. Alors ils mettent des étiquettes. Par contre, en Angleterre notamment, ce n’est pas comme ça. Je regarde beaucoup les films anglais et américains. J’apprends beaucoup de choses. Ils vous apprennent ce qu’il faut faire, et surtout ce qu’il ne faut pas faire. Pour moi, il n’y a que trois ou quatre comédiens français qui sont magnifiques : Simone Signoret était une merveille.

Qu’est-ce qu’un acteur ne doit pas faire, par exemple ?

Il ne faut pas jouer tout seul. Il faut penser que l’on doit répondre à la personne qui nous parle. Et il faut être le plus naturel possible. Il faut surtout articuler. Aujourd’hui, il y a beaucoup de comédiens, et surtout des comédiennes, qui oublient d’articuler. Pourquoi ne desserrent-elles pas les dents ? Parce qu’elles ont peur que leur rouge à lèvre s’en aille !



“POUR BEAUCOUP DE GENS DE CINÉMA, JE RESTE LA “FEMME DE LOUIS DE FUNÈS” !”

Vous avez été cataloguée “femme de Louis de Funès” Pourtant, il vous avait mise en garde...

Je ne m’en rendais pas compte. À l’époque, je dormais très peu. Je jouais une pièce de théâtre le soir et, la journée, je tournais avec Louis. Un jour, sur le tournage d’“Hibernatus”, il est venu me dire : “Tu devrais quand même accepter des films avec d’autres, bien que ça me fasse de la peine si tu ne joues pas un film ou deux sans moi.” On verra ça plus tard, je me suis dit. Et Louis avait raison. Évidemment, pour beaucoup de gens de cinéma, je reste la “femme de Louis de Funès”. Il y a un metteur en scène qui m’a dit : “Je pensais que, depuis que Louis de Funès était mort, vous ne vouliez plus tourner.” J’en suis restée bouche-bée.



Avant de débuter à Paris, vous avez commencé votre carrière en Belgique…

J’ai commencé sur les planches au Théâtre royal du Parc, qui était dirigé à l’époque par Oscar Lejeune. Il m’avait repérée au cours de René Simon où nous étions 200. C’était un vendredi où je jouais avec Pierre Mondy une scène de “Lucrèce Borgia” de Victor Hugo. C’est pour ce rôle que je suis arrivée en Belgique. J’ai joué au Théâtre du Parc pendant plusieurs années.

Pour vous, c’est le destin ou bien vous croyez en votre bonne étoile ?

Je crois aux deux. Ma bonne étoile, c’est le destin ! Pendant 18 ans, je n’ai joué que des tragédies. Puis, au Théâtre du Palais Royal, j’ai joué dans une comédie de Feydeau. On a commencé en décembre 1965. C’était mon premier rôle comique. Et en 1966, un dimanche après-midi, Louis de Funès, que je connaissais très bien, est venu voir la pièce avec sa femme, Jeanne, et son fils, Olivier. Elle lui a dit : “Tu devrais demander à Claude de jouer avec toi !” C’est comme ça que j’ai commencé à jouer avec Louis, dans “Oscar”.

C’était un grand inquiet, Louis de Funès. Il était soucieux d’avoir votre avis… Et ce, dès les années 50, lorsqu’il jouait au théâtre dans La Puce à l’oreille” de Feydeau…

Il jouait avec Jean Le Poulain et Pierre Mondy, qui était mon fiancé. Louis était merveilleux dans cette pièce. Il jouait le patron d’un bordel. Il jouait d’une façon extraordinaire. “Tu crois que je n’en fais pas trop ?”, me demandait-il. Il était merveilleux. J’allais le voir presque tous les soirs. Son bonheur, c’était de jouer au théâtre ou d’être sur un plateau de cinéma.



Quand il ne jouait pas ou qu’il ne tournait pas, il était malheureux, selon vous ?

Oui. À ses débuts, il ne faisait que de la figuration ou des petits rôles. Son premier grand rôle, il l’a eu à 50 ans, dans un film d’Yves Robert. Vous savez que Jacques Wilfried et Jean Girault ont écrit le premier volet des “Gendarmes” pour Louis de Funès ? Personne ne voulait produire ce film ! De Funès n’était pas encore connu. Les maisons de production proposaient de donner le rôle de Louis à Jean Gabin, mais il n’avait absolument rien à faire dans ce film. Chez les derniers producteurs que Wilfried et Girault ont été voir - c’était chez S.N.C. (Société Nouvelle de Cinéma) -, ils ont obtenu 60 millions d’anciens francs. Ce n’était pas beaucoup. Et ce film a rapporté 2 milliards !



“POUR MOI, C’ÉTAIT UN BONHEUR DE JOUER AVEC LOUIS. JE M’AMUSAIS BEAUCOUP.”



C’est Louis de Funès qui vous a imposée pour ce premier volet de la série des “Gendarmes” ?

J’avais déjà joué avec lui dans “Oscar” et “Les grandes vacances”. Pour Louis comme pour Jeanne, sa femme, c’était une évidence que je devais continuer à jouer sa femme au cinéma. Ça leur permettait d’être tranquilles... tous les deux ! Pour moi, c’était un bonheur de jouer avec Louis. Je m’amusais beaucoup.

Depuis le début, il avait pour vous plus que de l’affection, plus que de la tendresse et de la sympathie… Il y a toujours eu, entre Louis et vous, une très grande proximité !

On était en osmose. Sur le tournage d’“Oscar”, je lui avais dit : “Louis, dis-moi ce que tu veux que je fasse et je le ferai.” Il m’a répondu : “Tu me suis. C’est tout !” Et j’ai toujours retenu ça. On ne joue pas tout seul. Il ne faut jamais oublier qu’on joue à deux, avec quelqu’un avec qui il faut parler ou à qui il faut répondre. Et donc, il faut écouter ce que dit l’autre.

Pour créer ses personnages, Louis de Funès se remémorait certaines des mimiques de sa maman…

Il m’avait raconté que quand elle se mettait très en colère, il y avait des moments où elle était tellement drôle que ça le faisait rire. Il éclatait de rire. Et il recevait une gifle.

Sa maman, c’était le grand amour de sa vie…

C’est sûr ! Mais je crois qu’avec Jeanne, c’était aussi le grand amour. Elle en a accepté des choses quand ils avaient si peu d’argent. Ils vivaient dans une chambre de bonne, avec de l’eau froide sur le palier. Il avait une seule chemise convenable, propre. Une seule ! Quand il rentrait à 5 heures du matin, après avoir joué du piano pendant toute la nuit, elle lui lavait tout de suite sa chemise pour qu’elle soit sèche pour le soir. Elle était formidable, Jeanne.



“Je me rends compte de ma popularité seulement depuis quelques années”



Après l’immense succès du premier “Gendarme”, les gens, dans la rue, ont commencé à vous appeler “Ma biche”, “Madame Cruchot”, “Josépha” ?

J’habitais à ce moment-là à Neuilly. Et devant chez moi, il y avait des bancs verts dans les grands parterres de fleurs. Souvent, il était marqué “Ma biche” sur les bancs. L’officier municipal les enlevait en repassant un coup de peinture. Et quelques jours après, il retrouvait de nouveau écrit “Ma biche” sur l’un des bancs. (Elle rit.)

En dehors des tournages, vous le voyiez assez peu, Louis !

On se voyait peu. On se téléphonait une fois, de temps en temps. Je travaillais beaucoup… Et lui, il travaillait aussi beaucoup. La seule fois où je l’ai reçu chez moi - avec ma maman qui vivait chez moi, et mon fils, qui était adolescent -, je lui avais demandé : “Qui voudrais-tu que j’invite à ce dîner ?” Il m’a tout de suite répondu : “Galabru !”.

Vous vous souvenez du moment où vous avez appris la mort de Louis ?

Après avoir joué au théâtre, j’avais été manger au restaurant avec des copains. On avait beaucoup parlé de Louis, toute la soirée. En rentrant chez moi - il était 2 heures du matin -, Maman avait épinglé un petit mot sur mon oreiller. Elle me servait de secrétaire, elle prenait les appels… Elle avait marqué : “Téléphone tout de suite à Yves Mourousi.” Je l’appelle. Et il me dit : “Vous êtes au courant ? Louis est mort !” (Elle s’arrête. Elle passe ses mains sur ses yeux.) Je ne voulais pas y croire. Il avait fait un troisième infarctus. Il était allé dans les Alpes avec sa petite fille qu’il aimait beaucoup. Elle a attrapé la grippe et elle l’a lui a filée. Ils sont rentrés. Louis toussait sans arrêt. Quand le médecin est venu, c’était trop tard. Il n’a même pas eu le temps d’aller à l’hôpital pour arranger les choses. Il avait prévu d’aller tourner en Amérique. Il m’avait dit : “Tu serais contre d’aller tourner aux Etats-Unis ?” On devait y aller ensemble pour tourner un film… Et malheureusement, il est mort avant.

Aujourd’hui, vous avez du mal à regarder ses films ?

Ça me fait de la peine. Louis avait encore beaucoup d’année devant lui pour faire magnifiquement son métier.

Aujourd’hui, lorsque vous n’êtes pas à Paris pour vos rendez-vous professionnels, quels sont vos petits plaisirs, ici, en Normandie ?

J’aime beaucoup rester dans mon fauteuil et regarder un bon documentaire qui m’intéresserait. Je fais beaucoup de mots croisés. J’adore lire. Je lis beaucoup. Je lis plusieurs livres en même temps, selon mes envies. J’adore les biographies, les livres de sciences, les polars et les thrillers américains, et puis l’Histoire de France m’intéresse aussi beaucoup. Je lis, tous les jours, “Le Canard enchaîné”. C’est très drôle et les dessins sont formidables.

Qu’est-ce qui vous rend heureuse aujourd’hui ?

C’est d’être ici et d’être avec mon fils. "

AUTEUR et SOURCE

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