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dimanche 12 juillet 2009

LE PRISONNIER


On n'a pas besoin de tout comprendre pour apprécier "le prisonnier" mais j'ai quand même cherché sur le net pour essayer d'avoir toutes les réponses à mes questions... Voici et la fin du dossier :


III) Recréer le système : non-sens


S'il existe une phénoménologie de la fuite construite sur des faits pour en dégager une philosophie et une signification, la réponse la plus juste serait le non-sens. Cette série britannique très controversée est " présentée comme un chef-d'ouvre ou comme un délire relevant de la psychiatrie. "[1] [16] Il est vrai que nous avons esquissé précédemment des explications, mais tout l'intérêt de cette production repose sur l'inachèvement, elle devient donc déroutante. Celle-ci représente une porte ouverte, offrant au spectateur la possibilité de sortir de sa propre prison, de son petit monde et de s'interroger finalement sur l'irrationnel et sur ce qui ne peut être maîtriser. Face aux épreuves du " village ", trois types de comportements se manifestent : celui qui lutte, c'est le cas du numéro 6, celui qui fuit, c'est encore le numéro 6 : paradoxe de l'irrationnel. Patrick Mc Goohan crée une sorte de héros picaresque, violent et parfois misogyne. Se protège-t-il pour lutter ou fuir ?


Un autre comportement repose sur l'incapacité d'agir qui conduit au non-sens, et au suicide psychique. Evoquons la femme hypnotisée et droguée par le numéro 2. Elle veut atteindre le numéro 6 afin de lui extirper les fameux renseignements.[1] [17] Il semblerait que la gent féminine ne soit pas considérée dans cet univers masculin. Elle est donc objet et sujet de séduction, toute autre tentative de la définir conduit métaphoriquement au non-sens : " Confronté à un tel jeu, l'homme qui veut le "comprendre" se trouve pris dans un dilemme sans issue. S'il entend avoir le dernier mot en se conformant à l'ordre dont il tire son identité, il est assuré de se perdre. "[1] [18] L'érotisme reste donc le grand absent de la série, c'est " l'amour en fuite " pour une passion feinte et calculée.


Cet éloge de la fuite serait plutôt masculin, un seul épisode[1] [19] représente " la femme " en tant que numéro 2. Elle n'a pas sa place dans cet univers agressif où la stabilité féminine et maternelle pourrait canaliser le cynisme et la quasi impossibilité du prisonnier de s'en sortir et de se stabiliser. Le numéro 6 est une sorte de bombe ambulante qui remet en cause le système. Le prisonnier reste donc celui qu'il faut enfermer, dangereux pour la communauté : il représente " l'ennemi public numéro 1 ". On le menace de programme de reconversion sociale instantanée : " seule réponse des maîtres du " village " aux velléités d'individualisme : le conditionnement, la réhabilitation, l'arme suprême des régimes totalitaires avec en plus l'humour anglais. "[1] [20] Le Prisonnier se construit sur un certain discours ironique et caustique qui tourne en dérision le pouvoir et l'existence au sens large. Un journaliste demande au numéro 6 ce qu'il pense de la vie et de la mort, il lui répond : " Changer de disque, vous m'ennuyez ! ".[1] [21] Son interlocuteur rétorque par un dérèglement du langage qui n'est pas sans rappeler la technique de Ionesco : " Pas de commentaire. " Cette création, au fonctionnement absurde, s'insère " parfaitement dans son médium - la télévision - est dans son époque les années 60, celle des grandes prises de conscience politique et morale. "[1] [22]


Une empathie se développe entre le numéro 6 et le spectateur qui repose sur une quête absurde. L'homme cherche à se libérer de qui et de quoi! En fait, de tout et de rien. Seule, une ligne de conduite le sauve : la persévérance dans son labeur quotidien, semble-t-il ! La série devient donc une allégorie, une philosophie et une ouvre d'art qui fascine toujours : " C'est d'abord sur un fond de non savoir antérieur que vont s'inscrire les premières données du film. Et ce savoir porte sur deux domaines principaux : le monde quotidien de l'expérience humaine, le monde culturel des savoirs encyclopédiques. "[1] [23] Le réalisateur n'a jamais donné d'explication à la série ; comme toutes les ouvres, elle pose le problème de son interprétation. Il ne faut sans doute pas que le créateur offre un parcours de lecture bien que rétroactivement le réalisateur en donne un éclaircissement : " c'était le but de la série, étudier certains domaines qui nous sont plus familiers maintenant qu'à l'époque. Il y a plus de conflits, de dissensions, des problèmes avec la bureaucratie et la puissance qui s'oppose à l'individu. "[1] [24] Il s'agit aussi bien pour le réalisateur que le spectateur d'une fuite dans l'imaginaire qui s'apparente à une contrée d'exil où l'on trouve paradoxalement refuge et souffrance comme une sorte de catharsis. Le Prisonnier traduit cette impossibilité de connaître le bonheur : " parce que l'action gratifiante en réponse aux pulsions ne peut être satisfaite dans le conformisme socio-culturel. "[1] [25]


Construite sur un suspense éclectique - polar, anticipation et espionnage - cette production qui est sensée nous amener à une explication ne débordant pas les règles de ces genres, demeure en fait une supercherie pour le spectateur : un contre texte du Fugitif. Il s'agit d'une subversion des codes rationnels du récit filmique : conflit sans résolution du conflit. Finalement, la série pose une ambition esthético-philosophique. L'idée principale est de transgresser les genres classiques : " Sous cette puissance du faux, toutes les images deviennent des clichés, soit parce qu'on en montre la maladresse, soit parce qu'on en dénonce l'apparente perfection. "[1] [26]

Conclusion
Plus qu'une réflexion sur l'histoire de l'art, plus qu'une métaphore du quotidien, la série nous renvoie à nos inhibitions, à nos incapacités d'agir et de changer le cours des événements. Petite anthologie du stress psycho social, elle dénonce l'homme prisonnier de lui-même, soit l'expression artistique d'une forme de dépression mélancolique : " le psychotique n'attend plus rien. Il est enfermé en lui même et son inhibition n'est plus un langage, mais l'expression véritable de son impossibilité à agir. C'est pourquoi sa dépression peut déboucher sur le délire ou sur les signes caractéristiques de la série schizophrénique. "[1] [27] Cette idée demeure parfaitement illustrée au dénouement lorsque le numéro 6 découvre qu'il est le numéro 1. Masque arraché à la fin : le protagoniste se rend compte qu'il reste le créateur du système, le prisonnier devient effectivement responsable de son propre enfermement.


Nous sommes les bâtisseurs de la prison : la seule réponse du numéro 6 est le rire sarcastique et salvateur pour échapper à la folie et à l'isolement. Cependant, cette réalisation télévisée reste une incitation à fuir les systèmes clos et simplistes. Elle nous préserve des raccourcis de la pensée pour ceux qui s'enfermeraient dans un monde douillet. Le Prisonnier élabore une diatribe contre les régimes forts mais aussi contre la monotonie libérale d'un certain conformisme " petit bourgeois ". Ce dernier anesthésie l'individu pour ne pas évoquer un poncif du genre. La fuite, l'évasion et la libération deviennent une victoire mais elle semble pensée et contrôlée. A l'image de la parabole évangélique : " les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers "[1] [28] , le numéro 6, victime au départ, devient maître du système. Il sort de l'absurde et revient au réel. La quête du sens passerait par un non-sens systémique et théorisé par les médias : " le sens du film est incorporé à son rythme comme le sens d'un geste est immédiatement lisible dans le geste, et le film ne veut rien dire que lui-même. "[1] [29]


Le Prisonnier préfigure les reality show comme une sorte d'entomologiste qui poserait un regard vétilleux et clinique sur l'essence même de l'être manipulé.
A titre de curiosité, visitez http://www.leprisonnier.net/

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