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mercredi 11 juillet 2012

POUR UNE POIGNEE DE POLARS



Pierre Jolivet a réalisé son premier polar,. A l'heure de la sortie de “Mains armées”, il présente cinq de ses films policiers français favoris



Le Samouraï (1967) de Jean-Pierre Melville

J'admire Melville pour sa manière de créer de la fascination, de capter le spectateur même quand il ne se passe rien. Normalement, s'il y a de la tension dans un polar, c'est parce que la situation est tendue. Mais Melville n'a pas besoin de ça, c'est le climat qu'il installe qui distille de la tension dans chaque scène. Le Samouraï est la grande démonstration de ce principe. Melville filme Delon en train de se raser et on ressent une crainte, une appréhension, quelque chose qui se joue derrière ce qu'on voit.

J'aime beaucoup ça en tant que spectateur et j'ai essayé de retrouver un climat un peu semblable dans Mains armées quand le flic que joue Roschdy Zem se retrouve seul dans sa chambre d'hôtel : on sent qu'il reste tendu, alors qu'il devrait se relaxer, et cette tension imprègne l'atmosphère. Il y a ce qu'on voit et, dans la tête de cet homme, il y a autre chose qui se raconte. Pour créer cela, il faut avoir l'acteur qui est capable de ne rien faire et d'habiter l'écran. Roschdy a cela, et c'est rare.



L. 627 (1992) de Bertrand Tavernier

Un film incontournable pour moi. On est à l'opposé du Samouraï, presque dans le documentaire. Tout à coup, on laisse tomber l'imagerie traditionnelle pour montrer des flics qui bossent dans des préfabriqués et qui n'ont pas d'argent pour payer le ruban d'encre de leur machine à écrire. On est aux antipodes de la vie des flics telle qu'elle est souvent fantasmée au cinéma. C'est une vraie révolution dans le polar, même la structure de l'enquête avec début, milieu et fin disparaît.

Mains Armées est le résultat de la double influence de Melville et de Tavernier avec L. 627. Grâce à Simon Michael, avec qui j'ai écrit le scénario et qui a été flic lui-même, j'ai pu toucher la réalité du métier de flic aujourd'hui, rejeter l'imagerie au profit d'une vérité documentée. Mais, à partir de ce matériau, je suis allé ailleurs, vers des choses plus romanesques, plus lyriques.

Après avoir vu L. 627, je m'étais dit qu'on ne pourrait plus faire de polars comme avant, et je m'étais trompé : des polars traditionnels ont bien sûr été tournés depuis. C'est le signe que ce genre résiste à tout. Il peut à la fois muer et rester fidèle à ce qu'il a toujours été. C'est un genre tellement fort, tellement lié aux images de cinéma, qu'on peut aller en avant ou en arrière avec lui, faire du polar abscons ou du polar lyrique, c'est inépuisable.



L’Assassin habite au 21 (1942) de Henri-Georges Clouzot

Ce film de Clouzot n'est pas devenu un classique populaire, il n'est plus très connu aujourd'hui, mais c'est toujours comme ça avec les films de genre : même quand ils sont très réussis, ils disparaissent plus facilement que d'autres des histoires du cinéma. L'Assassin habite au 21 représente pourtant une sorte d'état parfait du film noir classique. Déjà, le titre est génial : on sait que l'assassin habite au 21, mais on ne sait pas qui il est, le mystère semble s'éclairer mais, au contraire, il s'épaissit.

Voilà la définition même de ce qui me séduit dans le polar : c'est un genre où il y a toujours une promesse. Quand j'ai un polar qui m'attend sur mon bureau, que ce soit un film en DVD ou un livre, il y a toujours une attente dans l'air, un espoir, une certaine joie.

Police Python 357 (1976) d'Alain Corneau

Un polar très fort dans un certain respect de la tradition. Mais j'aime tout dans le polar, ce qui est classique et ce qui le pervertit. Police Python revendique les codes et nous embarque dans un scénario extrêmement bien construit, avec un personnage très fort, victime de lui-même finalement. Il y a aussi une belle qualité de mise en scène, à la fois efficace et attentive.

Le polar est un genre intéressant de ce point de vue : on peut tenter beaucoup plus de choses avec la caméra que dans un drame où une comédie. La recherche dans les mouvements de caméra peut facilement sembler prétentieuse, artificielle, mais dans le polar, elle est permise, elle passe bien. C'est un genre qui autorise une certaine démesure.



Le Boucher (1970) de Claude Chabrol

C'est une forme de thriller : il y a un tueur en série traqué, qui est le boucher du coin. Quand il y a un crime et un coupable, on est dans le polar. Mais Chabrol utilise cette tension pour faire un peu autre chose qu'un polar. Le Boucher est un film très fort et très étrange, comme la relation sur laquelle l'histoire est centrée : entre le boucher que joue Jean Yann et la femme dont il s'éprend, interprétée par Stéphane Audran, c'est très complexe, il y a du désir et il y a de la mort.

Moi qui suis plutôt d'un tempérament tourmenté, malgré les apparences, j'ai toujours trouvé dans le polar tout le trouble et l'inquiétude qu'il me faut ! Les polars nous renvoient à la noirceur du cœur humain, mais sans nous ennuyer. Mon exigence de spectateur est grande et ce que j'accepte de Bergman, de Kieslowski ou de Haneke, ça m'ennuie très vite quand ce n'est pas à ce niveau. Le génie n'est jamais rasoir, mais tout ce qui est en-dessous a tendance à me gonfler grave. Sauf si c'est du cinéma de genre. En tant que cinéaste, j'ai très vite compris que je ne serais pas Bergman, Kieslowski ou Haneke, et j'aime faire des films de genre. Parce qu'il y a un schéma minimum qui permet de créer un lien avec le spectateur, même si on n'a pas de génie !

J'ai eu la chance de rencontrer Arthur Penn, qui, en présentant son western Le Gaucher (1958), avait très bien exprimé ce que j'aime moi-même dans le cinéma de genre : il voulait faire un film sur ses rapports avec son père et il s'est dit que ça allait être chiant, alors il a raconté cela à travers les rapports de Billy the Kid et de Pat Garrett. C'est ça qui est formidable dans le cinéma de genre. Avec Mains armées, j'avais envie de raconter comment un enfant qu'on n'a pas voulu, au départ, et qu'on n'a jamais voulu voir, peut entrer dans notre vie, même après vingt-cinq ans passés à l'ignorer. C'est l'histoire des personnages que jouent Roschdy Zem et Leïla Bekhti, et pour raconter cette histoire, j'ai fait un polar.







http://www.telerama.fr/cinema/les-cinq-polars-preferes-de-pierre-jolivet,83889.php

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