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jeudi 13 mars 2014

FRANCIS VEBER que ça reste entre nous




Qu’est ce qui vous a donné envie d’écrire vos mémoires?

L’échec de mon remake de L’Emmerdeur. Vous ne pouvez pas imaginer le mal que m’ont fait certaines critiques et la désaffection du public. Alors que la pièce avait été un immense succès, j’ai pris le bide de ma vie avec le film. Aujourd’hui, je réalise qu’il y a certains cultes auxquels on ne peut pas toucher. Mais sur le coup, j’ai vraiment eu l’impression atroce d’avoir fait de la profanation de sépulture. Le livre a servi de thérapie. Comme ça, je n’ai pas eu besoin d’aller amuser un psychiatre.


Vous n’y êtes pas tendre avec la profession : les producteurs sont radins, les acteurs alcooliques, les réalisateurs sont méprisants ou flemmards....

Et encore, je n’ai raconté que ce que j’ai vu ou vécu moi-même. Si vous saviez les horreurs qu’on raconte! [Rires] Sérieusement, l’exercice n’aurait eu aucun intérêt si c’était pour flatter tout le monde et employer la langue de bois. Et puis, je suis du genre à me fâcher avec quelqu’un juste pour faire rire. Je crois qu’on ne peut pas être drôle sans être un peu méchant. Ça m’a valu bien des déconvenues. À l’armée j’ai même fait quinze jours de mitard pour un bon mot. Ça ne m’a pas servi de leçon. Dans le livre, j’écris de Gad Elmaleh qu’il paraît toujours en dettes de rires et cherche à les rembourser. Je pourrais dire la même chose sur moi.



D’où vous vient ce besoin de faire rire?

Comme je l’écris en introduction, mon père était juif, ma mère arménienne. Deux génocides, deux murs des lamentations dans le sang : tout pour faire un comique.

Telle que vous l’écrivez, l’histoire de votre famille mériterait un film. Vous n’y avez jamais songé?
Pour qu’une fiction fonctionne, il faut qu’elle soit un minimum vraisemblable. Or ma famille est invraisemblable! [Rires)]. Ma mère était Russe, c’est-à-dire folle, et mon père trop romanesque pour la vraie vie.

Vous ne dites pas qui est le vrai François Pignon : c’est vous?
Hélas! Je le crains! J’aurais préféré être Campana, mais je suis plus près de Pignon, je l’avoue. Ma femme dit toujours que je suis un autiste réalisatif.

Depardieu lui, vous qualifie plutôt de pervers...
Il balance sur tout le monde en ce moment. Je crois qu’il a dû perdre quelques neurones. Pour moi, Depardieu c’est Mozart dans Amadeus, le film de Milos Forman : un génie dans un corps de voyou. C’est le champion de l’attraction- répulsion.


Et un grand amateur d’alcools, comme nombre de ses confrères acteurs apparemment…

Oui, hélas! Jacques Villeret, qui était un autre génie, en est même mort. Je ne peux pas penser à lui sans me souvenir de ses « absences ». A ce stade, ça ressemblait à une forme de suicide.

De Lino Ventura vous écrivez qu’au fond, c’était lui L’Emmerdeur…
C’est la pure vérité. Il pouvait être aussi chiant qu’une femme. Et ce n’est pas faire injure à sa mémoire que de le dire puisque c’est aussi ce que l’on aimait chez lui, sa part de féminité dans un corps de lutteur.

Vous décrivez aussi Pierre Richard comme un radin érotomane…
Euh, je dis juste qu’il oublie souvent sa carte bancaire et que ses roucoulades nous faisaient rire sur les tournages. Et aussi que je regrette un peu d’avoir fait de lui la grande vedette qu’il est devenu après Le Jouet et Le Grand Blond parce que ça l’a sans doute empêché de continuer à faire ses propres films.

Il n’y a pas beaucoup de femmes dans votre univers, pourquoi?
Les femmes clowns sont rares et ce sont souvent des camions chez nous. J’ai toujours des scrupules à les placer dans des situations ridicules. Et puis, après Serrault dans « La Cage aux Folles », c’est difficile de faire mieux non?

Ça vous énerve de ne pas avoir eu de césar?
Pas trop non. Je préfère entrer à la poste qu’à la postérité, comme disait Alphonse Allais. Mais avouez que je n’ai pas eu de chance : l’Académie a préféré remettre le prix du scénario à Thérèse plutôt qu’aux Compères. Le film d’Alain Cavalier est très beau, mais ce n’est pas à cause de son scénario. Pour me consoler, je me dis que Billy Wilder a attendu longtemps son oscar. Mais j’ai eu ma part de reconnaissance quand Gilles Jacob m’a proposé de faire partie du jury du Festival de Cannes. Pour la première fois, j’avais le sentiment d’exister pour les gens du cinéma. Sauf qu’au moment du palmarès tout le monde voulait donner un prix à Godard. J’ai juste demandé : « Ah bon, et pourquoi? » et ils m’ont regardé comme si j’avais dit une insanité [rires]. Mais d’avoir été à Cannes m’a permis de partir travailler quelques années à Hollywood. Une expérience que je ne regrette pas.

Qui restera selon vous le meilleur François Pignon?
Je les aime tous. Pierre Richard est l’historique, Villeret, l’étoile filante, Brel le plus émouvant… Mais Laspalles, qui le joue en ce moment au théâtre, m’épate. Il réussit encore à me faire rire. C’est le plus con-pact de mes cons : on dirait une compression de César!

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