Synopsis
Deux étudiants en suppriment un troisième, pour la seule beauté du geste. Défi suprême, le meurtre précède de peu une soirée où ils reçoivent les parents de la victime et leur ancien professeur.
Critique
Au-delà du scénario, banal mais intéressant quand même, c'est bel et bien la performance technique qui doit être mise en avant puisque le film a été tourné en seulement trois plans-séquences!
Derrière cela se cache une histoire, somme toute banale, mais intéressante tout de même puisque le réalisateur fait monter l'angoisse en se demandant si le corps sera découvert... Bien que la fin soit prévisible (et quelque part, le film ne devrait pas se terminer autrement...), on suit sans relâcher son attention le film.
Pas un chef-d'oeuvre, mais un très bon film grâce à la prouesse technique et à une histoire qui se laisse suivre sans problème. A voir!
voici un dossier complet sur LA CORDE, signé critikat.com
Bonne lecture
Bonne lecture
Grand cinéaste obsédé par l’expérience visuelle, Hitchcock n’a cessé, tout au long de son œuvre, de problématiser la place du spectateur en s’amusant discrètement avec la proverbiale transparence hollywoodienne. Avec La Corde (1948), il pousse l’expérience très loin. Pour qui persiste à voir en lui un plan-séquence raté, le film recèle de fait plus d’une surprise. Porter un œil attentif à sa structure, au risque du formalisme, c’est mesurer qu’il vaut beaucoup mieux que la prouesse technique un peu vaine à laquelle on le ravale souvent avec condescendance. Et si La Corde, se livrant à un drôle de jeu avec le regard du spectateur, assumait toutes ses coupes de montage ?
On ne va pas jouer au petit malin prétendant transformer en révélation fracassante ce que tout le monde sait déjà : à savoir que La Corde n’est pas vraiment un plan unique. Nombreux, pourtant, sont ceux qui croient qu’il n’est qu’une suite de plans-séquences durant le temps d’une bobine, dont les coupes sont camouflées par un noir maladroitement justifié par le passage de la caméra derrière le dos d’un personnage. C’est en partie le cas, mais seulement une fois sur deux. Il existe en effet dans le film, entre deux coupes dans le noir, des coupes non dissimulées, elles aussi liées à une fin de rouleau de pellicule au moment du tournage, mais marquant également le moment où le projectionniste change de bobine – cette dernière pouvant contenir, à l’époque où le film est tourné, l’équivalent de deux magasins de caméra. Cela, d’aucuns l’ont vu mais n’en font pas grand cas.
Replaçant le film dans l’histoire des formes cinématographiques, il note d’une part que ce sont les coupes franches qui passent le plus inaperçues. A cela, une raison : le raccord de point de vue est une figure à laquelle le spectateur de 1948, fort de cinquante ans d’élaboration puis d’affinage de la syntaxe cinématographique classique, est plus qu’habitué. Paradoxe ou non, il le digère sans sourciller quand un long plan tortueux lui titille la perception. D’autre part, ce même spectateur a une expérience du noir au cinéma qui le lui fait ressentir comme une ellipse : depuis Griffith, en effet, le fondu au noir entend immanquablement signifier une ellipse spatiale ou temporelle. D’où, selon Mather, l’échec de La Corde : lorsque la caméra passe derrière la veste d’un personnage, Hitchcock espère que le spectateur ressente, confusément et simultanément, la jubilation de l’effet à demi camouflé et la continuité souveraine de la narration. Or ce passage au noir, assimilé à une ellipse par la mémoire inconsciente du spectateur de cinéma, annule la continuité, interrompt la narration – ruine l’effet escompté.
Hitchcock, offrant probablement aux critiques ce qu’ils voulaient entendre, a lui-même dénigré l’expérience qu’il avait tentée. Même face à Truffaut – lequel, le cul entre deux chaises, cherche des excuses au maître en faisant valoir la concrétisation du rêve de tout cinéaste, qui serait de tout saisir d’un seul élan, tout en faisant l’éloge de l’inusable et irremplaçable découpage classique –, le bonhomme se bat la coulpe. Mais l’oncle Alfred est malin, nul ne l’ignore. Se serait-il vraiment laissé étouffer par les contingences techniques de sa gageure ? Nul n’est infaillible, certes, mais peut-être serait-ce là le sous-estimer. On ne saura jamais si Hitchcock disait vrai ou s’il a roulé son monde, mais on n’est pas obligé de le croire. Quand bien même il aurait été sincère, nul n’est tenu d’être d’accord avec lui...
La Corde a des yeux
Premier plan du film : plongée sur une rue, générique. Quelques passants, puis la caméra pivote, balaie un balcon et remonte vers une baie vitrée dont les rideaux sont fermés. Elle pouvait très bien panoter sur la ville, l’immeuble, atteindre plus simplement cette baie vitrée. Mais non, le nez collé au sol, elle a délibérément choisi de raser cette terrasse sur laquelle il n’y a rien à voir. Si bien que, l’espace d’un court instant, le champ est presque obstrué, furtivement investi par un gros plan sur des graviers assombris par l’ombre de la rambarde – un passage au noir en situation, en somme, qui préfigure en quelque sorte ceux qui vont suivre. Puis la caméra s’attarde quelques secondes sur la baie vitrée aux rideaux fermés, créant une attente décuplée par l’arrêt soudain de la musique. Un cri se fait entendre.
Montage semi interdit
Champ et hors-champ. Voir ou ne pas voir le cadavre. Dans les bonus du DVD, le scénariste se plaint du fait que Hitchcock ait choisi de montrer David au début du film : selon lui, il valait mieux rester fidèle à la pièce de Patrick Hamilton et laisser planer le doute sur l’existence du mort. Il se trompe, évidemment. Le cadavre est ici bien plus qu’un simple MacGuffin. Pour que le jeu sur le regard prenne tout son sens, il faut que le spectateur ait vu le corps, il faut qu’il sache qu’il est là, au centre du salon, sous le nez de tout le monde. Dès lors, la version extrême du « montage interdit » [4] que livre Hitchcock fonctionne à plein. Elle parvient même, à travers sa mise en jeu de la vision par la conjugaison des plans-séquences guidant le regard et des raccords de point de vue, à instituer une tension extrême du hors-champ. Au “danger dans le champ” bazinien (qui culmine ici dans la scène où la bonne dessert les plats disposés sur le coffre) s’ajoute donc un constant danger hors champ.
C’est que Hitchcock, redoutable, se paie le luxe de jouer sur tous les tableaux. La grande force du film est de laisser toute leur validité à la plupart des analyses qu’a impulsées l’hypothèse du plan unique. Le cinéaste compte autant avec la réalité des raccords qu’avec l’effet de leur invisibilité. Il joue du continu et du discontinu, de la durée et de l’espace, du champ et du hors-champ. Il combine l’efficacité de sa manière habituelle de découper [5] à la puissance du plan-séquence en mouvement. Son dispositif formel est surtout un joli pied de nez à ceux qui seraient tentés de localiser la faiblesse du film dans la subordination au théâtre à laquelle le vouerait prétendument la gageure du plan unique. Au lieu de s’échiner, en surdécoupant, à faire oublier ce qu’il doit au théâtre, le film paie au contraire son tribut à la pièce dont il est tiré, assumant à fond le huis clos. Impureté qui ne l’empêche pas d’accomplir, dans les coupes de montage, quelque chose dont le théâtre est incapable..
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Loi et transgression
De ce point de vue, le film est à la fois bien moins gratuit (dans la prouesse technique se nichent de véritables idées de cinéma) et beaucoup plus gratuit (la dimension ludique est incontestable) qu’on ne le croit. C’est un jeu avec le spectateur, une sorte de “crime cinématographique gratuit” questionnant les limites conventionnelles entre théâtre et cinéma, de la même façon peut-être que les protagonistes questionnent les notions morales de Bien et de Mal... Un jeu frappé d’une évidente dimension érotique, que prennent formellement en charge, ainsi que Coursodon l’a souligné, les plans-séquences serpentins. Si l’on tient à donner dans la métaphore sexuelle au niveau de la structure du film, on envisagera les passages au noir comme des reprises de souffle, et les coupes franches comme des changements de position...
Les interprétations ont fusé à propos de la supposée “morale” du film. Film anti-intellectualiste sur le danger de la théorie détachée de toute pratique, condamnant sans réserve la philosophie des personnages principaux ? Etonnante apologie du crime ? Les choses sont plus nuancées que cela : Hitchcock a trop d’humour pour asséner un discours univoque. Mais tout se joue de toute évidence dans le rapport entre culture et barbarie d’une part (la corde fait le lien entre le meurtre et une pile de livres), théorie et pratique de l’autre. Allusion est faite au nazisme, qui se réclamait de Nietzsche. Les idées sont-elles responsables de l’usage qu’on en fait ?
Au début du film, avant et après le générique, on voit notamment passer dans la rue une femme avec un landau et un agent de police tenant deux bambins par la main. Une mère, un policier : il est bien sûr question d’autorité, d’obéissance, de transmission. Au-delà du repentir un brin moralisateur de Rupert, plaidant en faveur d’une vision humaniste et démocratique, il faut voir le vertige de qui assiste à l’application dévoyée de ses conceptions. L’acte de Brandon et Phillip est à la fois d’une absolue intégrité et d’une bêtise totale. Leur ignominie est d’avoir utilisé la théorie de Rupert comme prétexte ; pas sûr, en effet, étant donné le réseau d’affects entourant la victime, que le crime soit si gratuit que cela. Leur aveuglement est d’avoir cru faire aboutir les préceptes de leur enseignant. Mais la meilleure façon de rester fidèle à l’enseignement d’un professeur est peut-être de s’approprier sa théorie sans en faire la seule, sans l’ériger en dogme ni l’appliquer à la lettre dans une réalité trop complexe pour la soutenir sans en compromettre l’illusoire pureté : c’est de tuer le père symbolique en lui. Il s’agit, en somme, – et tant pis pour l’amalgame père/mère... – de couper le cordon.
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