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mardi 15 juillet 2014

BERNARD GIRAUDEAU Hommage (TELERAMA)




Longtemps, il pensa mourir à 30 ans, car sa ligne de vie était courte. Après avoir dévoré l’existence de peur de manquer de temps, Bernard Giraudeau vient de fermer ses yeux outremer à 63 ans, vaincu par le cancer qu’il tenait en respect depuis une décennie. Défricheur de terres et d’expériences nouvelles, Bernard Giraudeau fut, tout à la fois, acteur, alpiniste, metteur en scène, parachutiste, militant d’Amnesty International, écrivain et homme de la mer.


Né à La Rochelle en 1947, petit-fils de cap-hornier et fils d’un militaire qui compense ses absences par des lettres d’Algérie et d’Indochine, le jeune Bernard est très tôt tenté par le grand large. Entré à l’école des mousses à 15 ans pour être mécanicien, il obtient le seul diplôme de sa vie, un brevet « diesel et turbine », puis embarque sur le Jeanne-d’Arc pour sept ans et deux tours du monde. C’est à bord de ce croiseur qu’il fait ses humanités, de ports en bistrots, de Saint-Pierre-et-Miquelon à Manille, dévorant les romans de Stevenson, Conrad et Melville. Il jette aussi, en vrac sur des carnets, ses impressions de marin. Quand on est avide de sensations, du pont aux planches, il n’y a qu’un saut. Trop peu diplômé pour devenir quartier-maître, le matelot revient à La Rochelle à 22 ans avec le sentiment de s’échouer. Et se lie à une troupe de théâtre itinérante comme on reprend la mer…

Cette année, il aurait fêté ses trente-six ans de carrière, de navigation à vue entre grand écran et théâtre, entre films populaires et cinéma d’auteur, depuis son premier rôle, en 1973, dans Deux Hommes dans la ville. Dans ce drame de José Giovanni, il interprète le fils de Gabin, un jeunot fiérot qui peste contre l’ordre établi : un premier emploi parfait pour celui qui resta toute sa vie un homme de gauche, engagé, fougueux, pas toujours commode.

Comme il fait, décidément, tout avec sérieux, il décide de découvrir le théâtre. A tant faire, le Conservatoire, il n’y a pas mieux… Il y reçoit le premier prix de comédie – à l’unanimité –, ce qui le met mal à l’aise : les récompenses, la hiérarchie, très peu pour lui. Participer au petit cirque des vanités parisiennes n’est-ce pas dérisoire quand, quelques années auparavant, on a failli étrangler une prostituée à Kobe ? C’est en 2002 qu’il révèle ce sombre épisode de sa jeunesse maritime dans le recueil de récits Le Marin à l’ancre, qui marque ses débuts d’écrivain. Il continue, ensuite, à coucher sur le papier ses souvenirs et ses rêves, au point de devenir, ces dernières années, un romancier qui compte (lire ci-­dessous). A ses yeux, cette reconnaissance littéraire vaut mieux que tous les ­césars… C’est qu’il se sent enfin apprécié pour ce qu’il est. Et non pour ce qu’il n’a jamais été : un joli cœur à faire fondre les midinettes. Malentendu provoqué, évidemment, par les succès de Viens chez moi, j’habite chez une copine, Croque la vie et à son triomphe personnel en prof d’anglais so cute dans La Boum.

D’ailleurs, en ces années 80, producteurs et spectatrices ne voient, en lui, qu’une star au regard clair, compromis parfait entre la beauté de Delon et la décontraction de Belmondo. Il accepte cette image, le temps de tourner ce qui reste son plus gros succès populaire : Les Spécialistes, de Patrice Leconte, en 1984. Mais, la même année, il change de cap : violence de Rue Barbare, de Gilles Béhat, et cynisme de L’Année des méduses, de Christopher Frank, où il incarne un dragueur caressant et antipathique. Très vite, il choisit de s’enlaidir et de s’avilir encore davantage : épave blême et imbibée dans Poussière d’ange, d’Edouard Niermans, escroc pathétique et ringard dans Vent de panique, de Bernard Stora. Deux rôles où il excelle, et où l’on sent sa jubilation à piétiner son image de beau mec…


Toujours en quête d’une nouvelle terra incognita, il passe derrière la caméra dans les années 90. Là encore, il ne choisit pas la facilité : une adaptation de L’Autre, le roman d’Andrée Chédid. Film ambitieux – un rien trop symbolique –, mais porté par un humanisme magnifique : contre toute logique, un homme est persuadé qu’un survivant gît dans les décombres qu’a provoqués un tremblement de terre. Ce survivant, c’est l’inconnu, l’autre, son « frère humain » ... Plus tard, il réalisera Les Caprices d’un fleuve, hymne à l’Afrique, suite de séquences étranges, à la lumière incandescente, à la limite du rêve éveillé…


Entre deux pièces de théâtre (Beckett ou l’honneur de Dieu, d’Anouilh, un Diderot amoral dans Le Libertin, d’Eric-Emmanuel Schmitt), il revient en force au cinéma, en 2003, dans La Petite Lili, de Claude Miller, et Ce jour-là, de Raoul Ruiz. A cette époque, il semble particulièrement heureux d’y avoir incarné un inquiétant psychopathe. Dans les interviews, il se félicitait d’« être en mer de Ruiz. Une mer qui n’est pas tranquille ».


Pourquoi des auteurs comme Sautet, Téchiné ou Pialat ne l’ont-ils jamais contacté ? Il se posait ouvertement la question, frustré de n’avoir pas pu découvrir leurs mondes. Seul François Ozon sut le découvrir. Il offrit à Giraudeau ce qui restera son meilleur rôle : un homosexuel prédateur dans Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, d’après Fassbinder. A l’époque, on s’étonna de ce contre-emploi. A tort, car ce personnage dépressif et volcanique lui ressemblait : un homme tenaillé par l’angoisse de passer à côté de la vie. 
Guillemette Odicino





Giraudeau, l’écrivain voyageur
Bernard Giraudeau avait le goût du départ. Jamais ici, toujours ailleurs, là où on ne l’attendait pas. A 54 ans, il s’était mis à écrire. Des livres qui parlent de voyages, d’errances attentives et d’histoires volées. Son premier roman, Le Marin à l’ancre, paru en 2001, mettait en scène une bouleversante correspondance postée des quatre coins de la planète à son ami Roland, cloué sur sa chaise par une maladie. Cher amour, publié en mai, s’adresse à une femme que le narrateur n’a pas encore rencontrée, une femme rêvée à laquelle il confie le récit de ses pérégrinations au bout du monde. Tous ses romans disaient ainsi son goût de la vie, sa quête éperdue des femmes et des terres inconnues, sa volonté d’explorer le monde, sans relâche, pour « comprendre ». De livre en livre, avec l’épreuve de la maladie, perçait aussi une sagesse nouvelle, un désir de calmer le jeu, de se dépouiller de « l’homme d’avant », de se rendre disponible à l’instant présent, pour que la vie ne soit pas qu’un rêve « effleuré ». A voir les foules qui se pressaient, dans les salons et les festivals du livre où il se rendait volontiers, l’écrivain avait à l’évidence trouvé, outre la reconnaissance de la critique, celle d’un très vaste public.


Michel Abescat
http://www.telerama.fr/cinema/bernard-giraudeau-succombe-a-l-appel-du-large,47473.php

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