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samedi 21 juillet 2012

DARK NIGHT

Un jour après la fusillade d’Aurora (Colorado), Serge Tisseron, directeur de recherches à l’université Paris-Ouest Nanterre, psychiatre et psychanlayste, a accepté de répondre aux questions de la Rédaction de Sciences et Avenir,  

quelques extraits de l'interview

Sciences et Avenir : D’après les premiers éléments de l’enquête, James Holmes, l’auteur de la fusillade d’Aurora, qui vivait comme un reclus, a acheté des milliers de munitions sur Internet. A quel genre de personnalité a-t-on affaire ? 
Serge Tisseron : Même si on ne sait pas grand-chose pour l’instant, cela semble être un acte de déséquilibré, sans motivation de type politique. Le fait qu’il sorte tranquillement sur le parking, après la fusillade, montre une sorte d’indifférence glacée, comme si son acte n’avait pas eu d’importance particulière. De la même façon, il a indiqué aux policiers de ne pas entrer chez lui par la porte car il avait piégé les lieux avec des explosifs. C’est un discours quelque peu « discordant », qui annule la chose faite - en principe, si on a piégé des lieux, ce n’est pas cela qu’on commence à dire à la police.
Il a accompli son geste dans un cinéma où était projeté Batman. Est-ce que cela signifie quelque chose de particulier ?
S.T. : Je repense à Richard Durn, qui a tué des élus pendant un conseil municipal à Nanterre (27 mars 2002, 8 morts, une quarantaine de blessés à des degrés divers ndlr). Après avoir été arrêté et avant de sauter par un vasistas et se tuer, il avait été interrogé par la police. Dans sa déclaration, il disait être fasciné par Robert de Niro dans Taxi Driver. Il disait avoir l’impression que Robert de Niro était lui. Même avant que le cinéma existe, le risque a toujours existé d’emprunter une identité de fiction. Et qu’un individu ne sache pas où il commence et où il finit. Qu’il ait tendance à confondre l’autre et moi.
Cela aurait pu être le cas pour Holmes ?
S.T. : Le fait qu’il soit intervenu devant un écran montre que c’est une confusion qui a pu être possible chez lui. Dans la vie de tous les jours, dans une conversation par exemple, si vous avez tendance à faire la confusion entre vous et un autre, cet autre vous remonte les bretelles, vous remet à votre place et vous dit – c’est pas moi, c’est toi ! Mais au cinéma, cette tendance va être potentialisée. Le héros ne sort pas de l’écran pour dire, attention, je ne suis pas toi. Il y a une possible confusion. Ici, c’est peut-être l’idée qu’on va être un vengeur masqué, comme Batman. Quelqu’un qui va régénérer le monde après un bain de sang. Mais ne me faites pas dire que c’est à cause du film que James Holmes a commis cette tuerie. Ce que je trouve d’ailleurs frappant, c’est qu’il ne semble pas avoir filmé la tuerie. Alors qu’actuellement, tout le monde filme tout.

Un événement pareil nous enseigne-t-il quelque chose ?
S.T. : L’élément essentiel, c’est le choc que ça vous donne, que ça nous donne ! Et le fait que cette tuerie ait eu lieu pendant un film sur Batman m’incite à tirer deux fils. Le premier est celui de la figure du criminel pervers au cinéma. Elle n’est bien sûr pas née avec le cinéma, elle était déjà en littérature chez le marquis de Sade, par exemple. Le problème n’est pas qu’elle soit visible au cinéma mais que cette figure du criminel pervers soit aujourd’hui valorisée. Que soit valorisé le fait que le meurtre est un moyen d’obtenir rapidement la jouissance extrême. Pendant longtemps, au cinéma, par exemple dans les westerns, il pouvait y avoir des actes de jouissance dans le meurtre, mais au titre de la vengeance. Quand le héros retrouvait par exemple les meurtriers de ses parents et les tuait. Dans les années 1960, il y avait ainsi au cinéma de grands méchants, de grands criminels, de personnalités dérangées. Mais leurs actes étaient reliés à des situations particulières. Les choses ont changé à partir des années 1990 quand on a commencé à voir le grand méchant ressentir une jouissance orgastique dans sa méchanceté. Quand les actes de tuerie, de torture sont devenus ceux qui procuraient la plus grande jouissance. Avec un nombre de morts de plus en plus grand : plus il y a de morts, et mieux on les connaît, plus c’est jouissif.
Des exemples de films ?
S.T : Je penserais à Reservoir Dogs ou plus encore Seven. Vous vous souvenez quand le criminel, à la fin, présente la tête de la femme du policier à ce dernier et lui demande de le tuer, ce qui va le mettre hors-la-loi. C’est pervers. Je ne suis pas en train ici de parler de pervers sexuel , mais de « pervers moral ». De quelqu’un qui trouve sa jouissance à trangresser la loi – et mieux encore, de faire procéder à cette transgression à d’autres, pour qui c’est une grande souffrance. Ainsi, le policier de Seven, qui doit non seulement supporter l’horreur de voir la tête de sa femme découpée doit aussi se mettre hors la loi.
Et dans Batman ?
S.T. : Je tirerais ici mon deuxième fil. Celui de l’atmosphère de Batman. C’est un monde complètement pourri, d’une noirceur complète, sans espoir ni figure de compassion. Ce n’est ainsi pas celui de Spider-Man (le pauvre homme n’a pas choisi de devenir araignée, il est la victime d’avancées scientifiques [d’une piqûre d’une araignée radioactive, ndlr]). Batman, lui est une espèce de fou capitaliste - ténébreux, solitaire. Dans un film antérieur à celui d’aujoud’hui, il y a cette scène fameuse où il se suspend au plafond une nuit, ce qui n’est quand même pas la meilleure façon pour séduire une compagne [dans le Batman de Tim Burton de 1989, ndlr]. Cette figure de l’isolement est propre à séduire ceux qui sont dans un isolement complet


Batman, en cela, est-il spécial ?
Ce qui est spécial chez Batman, c’est qu’il est hors-la-loi. Et cela lui donne effectivement un statut à part chez les super héros, dont le retour au cinéma est lié au 11 septembre. Auparavant, dans les années 70-80 ils avaient disparu et on s’était même mis à en faire des parodies. Mais ils ont repris du service après l’attentat contre le World Trade Center, de façon à rassurer les Etats-Unis de leurs manœuvres contre le terrorisme. Il est terrible que des films pour les adolescents et les jeunes adultes fassent l’apologie d’un héros qui se met hors la loi pour sauver le monde. Seuls ceux qui transgressent la loi seraient capables de nous protéger de ceux qui transgressent la loi.
Dans ce monde noir, on ne peut effectivement plus faire confiance à personne…
S.T. : L’important est de comprendre que dans ce monde noir, la justice, la police, tous ces pouvoirs institutionnels qui doivent protéger le citoyen sont délégitimés. Ils sont corrompus, inefficaces. Cette vision rejoint le discours des démagogues, ceux qui veulent prendre le pouvoir en délégitimant les autres pouvoirs. Ils disent : les politiques ne placent que leurs copains, les juges sont corrompus, les médecins ne soignent que ceux qu’ils connaissent, les laboratoires pharmaceutiques ne veulent protéger que leurs intérêts… Historiquement, le nazisme s’est ainsi employé à commencer par jeter le discrédit sur les institutions, par cette délégitimation. Ces discours, dont celui de Dark Knight, risquent alors de faire le lit d’aventuriers démagogues. Ils risquent d’imposer l’idée que seul un individu qui transgresse les pouvoirs va pouvoir sauver la civilisation. Que lui seul peut rétablir un semblant d’ordre face à des pouvoirs incapables. Cela peut légitimer la prise de pouvoir par ces aventuriers démagogues.
Ici, en France, aux Etats-Unis… on est en démocratie. Le risque est faible, non ?
S.T : Oui, ici, on peut recevoir ce film. La démocratie est solide. Mais pensez des pays bien plus fragiles – sachant que ce genre de films a un impact international (notez que le héros de cinéma le plus connu dans le monde entier est Terminator, celui du premier film). Pensez à l’effet sur la jeunesse d’un discours qui fait l’apologie de la transgression, qui montre qu’il n’y a pas de raison de respecter la loi puisque tout est pourri. C’est toute l’ambiguïté de la figure du redresseur de torts, qui se met hors la loi humaine. Si chacun s’accorde la loi, c’est l’anarchie, modèle présent dans le cinéma hollywoodien, où le héros lutte contre les pouvoirs en place. On est bien loin de la figure de Tintin - héros qui ne marche d’ailleurs pas si bien aux Etats-Unis - qui respecte, lui, les pouvoirs en place (même s’ils sont dépassés) et remet toujours les méchants aux autorités à un moment de l’histoire
Propos recueillis par Dominique Leglu


source de l'info :
 Par Dominique Leglu, directrice de la rédaction de Sciences et Avenir.
l'intégralité de l'interview se trouve ici :

http://www.sciencesetavenir.fr/decryptage/20120721.OBS7908/fusillade-d-aurora-de-quoi-batman-est-il-le-nom.html

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