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mardi 8 juin 2010

AUX ORIGINES DU FLIC A LA 403


Une série créée par Richard Levinson et William Link.

Un dossier conçu par Thierry Le Peut et Christophe Dordain.

http://www.lemagazinedesseries.com

Tout commence en mars 1960. Le magazine américain Alfred Hitchcock's Mystery publie une nouvelle de deux jeunes écrivains : Richard Link et William Levinson. Leur nouvelle paraît sous le titre Dear Corpus Delicti et raconte l'histoire d'un homme Charles Lowe, qui, ayant tué sa femme, fait croire à son entourage que cette dernière est toujours vivante lorsqu'il prend un avion pour faire un voyage. Comment? Avec l'aide de sa maîtresse pour tromper les passagers de l'avion. Dans cette nouvelle, on découvre un inspecteur Fisher qui est, en sorte, l'esquisse du futur Columbo.

Suite à ce succès littéraire, Link et Levinson essayent d'adapter leur histoire à la télévision. Cette dernière sera filmée et programmée le 31 juillet 1960 dans l'émission "The Chevy Mystery", émission sponsorisée par la célèbre marque Chevrolet. Pour la première fois, l'inspecteur porte le nom de Columbo mais l'interprétation de l'acteur Bert Freed n'a pas laissé une grande trace dans l'histoire du petit écran. Par la suite, le matériau de base est utilisé pour une pièce de théâtre qui sera jouée aux USA et au Canada au cours des années 61 et 62.

Au milieu des années 1960, Link et Levinson apprennent que les studios Universal cherchent à produire des séries pour la télévision. Ils présentent une version réécrite de leur fameuse histoire et titrée Prescription murder. Richard Irving accepte de tourner le film-pilote. La sélection est rude pour trouver l'acteur principal. Le choix finit par se porter sur un certain Peter Falk, comédien d'une quarantaine d'années qui a tourné une quinzaine de films et surtout participé à une autre série :"The Trial Of O'Brien", 22 épisodes produits par Alan Simmons et diffusés de 1965 à 1966 sur CBS. Dans ce show, Peter Falk y incarnait un ténor du barreau, à la vie extra-professionnelle un peu compliquée. Mais ce qui fait la véritable originalité du comédien est son appartenance à l'univers du grand John Cassavetes.

Le premier téléfilm est diffusé le 20 février 1968 sur la chaîne NBC et le succès est immédiat. C'est pourquoi Universal et NBC envisagent la production d'un show dont le personnage central serait Columbo. Perspective que n'avait pas envisagé les deux auteurs du script initial. L'accord est signé mais un second pilote doit être réalisé, règle incontournable en matière de production télévisuelle aux USA. Ainsi "Columbo" est-il un des rares programmes qui soit lancé par l'intermédiaire de deux pilotes successifs. Pourquoi un second pilote ? Il semble que certains dirigeants de NBC ne comprenaient pas pourquoi le premier pilote avait eu un tel succès d'audience alors que l'on connaissait le coupable dès le début et que le véritable héros n'apparaissait qu'au bout de vingt minutes, éléments qui deviendront les signes de fabrique de la série.

LE SECOND PILOTE ET LA DIFFUSION

Le 01 mars 1971, un second pilote est programmé, toujours réalisé par Richard Irving. Il est donc acquis que le format définitif de la série se situera entre 75 et 90 minutes plus les insertions de spots publicitaires. Le choix de ce format n'a rien de surprenant car l'ambition du network NBC est de commander sept épisodes pour la saison 71/72 et d'intégrer l'ensemble dans un nouveau programme intitulé "The Mystery Movies From NBC". Plutôt que d'acheter des films de cinéma, la chaîne avait décidé de commander aux studios Universal plusieurs séries de téléfilms à consonance policière. Ainsi, entre 1971 et 1978, NBC diffusa près de 150 épisodes de 75à 95 minutes. Beaucoup de ces programmes ont favorisé la naissance de nouveaux héros. On peut citer "Madigan" avec Richard Widmark, "Banacek" avec George Peppard, "Mc Coy" avec Tony Curtis, "Mc Millan & Wife" avec Rock Hudson, "Un Shérif à New York" avec Dennis Weaver ou encore "Hec Ramsey" avec Richard Boone. Autant de séries qui ont connu la faveur d'une programmation sur les chaînes françaises dans les années 1970 et 1980. Autre précision d'importance, ces programmes permettent aux studios Universal de tester de jeunes cinéastes. Parmi eux, un certain Steven Spielberg.

De 1969 à 1973, Steven Spielberg a mis en scène pour la télévision pas moins de onze épisodes de séries et téléfilms (chiffre remarquable au regard du jeune âge du réalisateur et des difficultés de la profession). Appliquant les règles en vigueur (tournage d'un 52 minutes en six jours, emploi du format 35 mm, comédiens polyvalents, équipes rodées au long-métrage), Spielberg dirige l'épisode "Murder By book" où le style cinématographique du cinéaste s'affirme déjà. On remarque donc que "Columbo" a bénéficié de la compétence de solides cinéastes ou de jeunes pousses promises à un brillant avenir.

Le 15 septembre 1971 est proposé le premier épisode, nombreux seront les téléspectateurs à suivre, avec passion, les enquêtes de l'inspecteur à la 403. En effet, chaque épisode respecte des règles strictes : Columbo est souvent considéré comme un simple obstacle par le meurtrier, puis se transforme en véritable sangsue qui ne lâchera sa proie qu'après l'aveu final. On peut également observer que, dans chaque épisode, on ne voit jamais la moindre trace de sang ni de coup porté. Aucune violence dans une série policière, voici qui dénote singulièrement. Quant au meurtrier, il est souvent originaire de la haute société, arrogant et méprisant envers le petit lieutenant qui ne paie pas de mine mais qui causera sa ruine. Une série à la gloire des petits face aux représentants de la bourgeoisie ? Voila une interprétation qui ne manque pas de sel au pays de l'Oncle Sam... La production se poursuivra jusqu'au 01 septembre 1978, quand, à la stupéfaction générale, Peter Falk, lassé du rythme imposé par les tournages, tombera l'imperméable et laissera la 403 au garage.

Il est à noter que les producteurs tenteront d'exploiter le filon avec une sorte de spin-off intitulé "Madame Columbo" et diffusé du 26 février au 6 septembre 1979, avec Kate Mulgrew dans le rôle principal. Le résultat est pitoyable malgré la présence à la production de James Mc Adams, le futur producteur du show "The Equalizer". Le filon fut exploité une dernière fois avec "Kate Loves Mystery", série diffusée du 28 octobre au 6 décembre 1979, toujours avec Kate Mulgrew. Heureusement, les chaînes françaises nous ont épargné la vision de ce second naufrage. Quant à Peter Falk, il finira par reprendre le rôle de 1988 jusque 2003 pour une nouvelle série de téléfilms n'ayant plus la saveur d'antan. En effet, ce qui faisait le charme de l'ancienne série, c'était la participation d'authentiques stars du petit ou du grand écran : Patrick Mc Goohan, Robert Conrad, etc... Bref, que des pointures !

Présenter Columbo à un téléphile est à peu près aussi intéressant que d’expliquer à un Américain ce qu’est un MacDo. On essaiera donc d’éviter de répéter l’histoire désormais très connue de la genèse du personnage pour s’intéresser plutôt à sa nature et à sa pérennité. A une époque où l’Amérique venait de traverser une période d’exubérance et d’aventures internationales et gadgétisées (Des agents très spéciaux, Les Mystères de l’Ouest, Les espions, Max la Menace et dans un autre registre Ma Sorcière bien-aimée, Batman, Les Monstres, La Famille Addams), le petit inspecteur créé par Richard Levinson et William Link ne payait pas de mine avec son look commun, son cigare allumé, son oeil de verre, sa voiture cahotante – et française – et ses origines italiennes. Le type même du personnage insignifiant dont on aurait sans doute hésité à faire un héros de série télé s’il n’avait pas d’abord rencontré un certain succès au théâtre.

Columbo n’a rien d’un héros, ni alors ni maintenant ; il se rapproche de ce que la classification moderne a appelé un « anti-héros » et encore : celui-ci est souvent un paumé, un « héros malgré lui » embarqué dans des situations qu’il n’a pas souhaitées et qui le dépassent souvent, or Columbo n’a rien de tout cela. Il n’est pas paumé, il est même plutôt bien dans ses chaussures, marié, propriétaire d’un chien apathique, manifestement motivé par son métier et peu enclin à s’inquiéter de ce que l’on peut penser de lui. Bref, c’est plutôt un type ordinaire, à la Maigret.

Tout le monde sait bien aussi que c’est ce qui fait sa force car les criminels qu’il côtoie se fient trop vite aux apparences et ont vite fait de le prendre pour un naze, ce qui lui permet, à lui, de reconstituer tranquillement la trame du crime tout en jouant la mouche du coche. Qu’on se le dise : une fois qu’il s’est accroché aux basques d’un criminel, rien ne saurait le faire lâcher prise, ni les menaces, ni l’intimidation, ni le recours à ses supérieurs. Chassez-le par la grande porte, il revient par la fenêtre ; jetez-le hors de votre propriété, il passe par dessous la haie et vient fouiner dans votre abri de jardin. Ce que cherche Columbo, ce sont des indices ; pas des preuves éclatantes qui permettent de coffrer un coupable sans se poser davantage de questions, non, des indices minuscules, des traces insignifiantes oubliées dans un coin, sous un tapis ou dans un cendrier, voire dans les entrailles d’un être humain. Un trombone, un bout de cigare, un fil, n’importe quoi pourvu qu’il puisse servir de base à une hypothèse plausible ou de pièce manquante dans le puzzle policier.

Vous me direz que c’est classique : Edgar Poe avait déjà trouvé la formule, Conan Doyle l’avait peaufinée, et même Sophocle résolvait l’enquête d’Oedipe Roi avec des indices « confondants ». Soit. Mais si le genre policier a tant de succès depuis des lustres, c’est bien parce que ses lecteurs aiment chercher la petite bête, et s’amuser avec l’enquêteur à la repérer dans la masse d’informations que recèle une page de livre ou une scène de crime. Ce sont d’ailleurs toujours les détails infimes qui font le « truc » irremplaçable des Experts, encore plus infimes qu’avant d’ailleurs grâce à la magie des effets spéciaux et du matériel de pointe dont disposent les « Sherlock Holmes » d’aujourd’hui. Mais enfin, on vous l’accorde sans problème : l’idée de Columbo, en effet, n’est pas originale et il en fallait plus pour assurer le succès d’une formule policière très classique. D’ailleurs, à propos d’indices, on vous les a tous mis sous le nez dans ces premières lignes : car l’originalité de Columbo c’est justement la conjonction de cette formule classique entre toutes et de son personnage aussi remarquable, physiquement, qu’une génisse dans un champ de génisses ; encore qu’il aurait plutôt l’air d’un boeuf rachitique et mal fichu au milieu du troupeau. En plus, il appartient à une minorité ethnique – d’ailleurs, il a dû apporter sa voiture avec lui en émigrant par la France.

Mais soyons sérieux : ce qui fait encore aujourd’hui l’attrait irrésistible de cet inspecteur désormais mondialement reconnaissable et télévisuellement unique (un comble !), c’est son caractère subversif. Et ça, ce n’est pas forcément aussi classique qu’on pourrait le croire : Maigret et Bourrel, nos inspecteurs « classiques » à la française, se fondaient dans la masse par leur look très commun et se comportaient comme les policiers qu’ils étaient. Ils soulevaient des voiles que les coupables aussi bien que les victimes auraient préféré laisser tendus, ils traquaient la vérité dans les recoins de l’âme humaine et des quartiers de Paris et d’ailleurs, mais enfin ils étaient finalement dans la norme et remplissaient le rôle dont la société les avait chargés.

Avec Columbo, c’est un peu différent. La petite bête, il ne va pas seulement la chercher dans l’âme humaine ; d’ailleurs les criminels qu’il confond n’ont pas une âme spécialement torturée ni compliquée. Ils sont plutôt simples, gouvernés par l’ambition le plus souvent, par la peur de tout perdre ou la volonté de voler leur réussite plutôt que de la construire. Et c’est là que réside la vilénie que l’inspecteur a à coeur de démasquer, comme on dénonce une imposture. Les masques que portent les criminels de Columbo ne sont pas seulement ceux du criminel qui dissimule son crime ; ce sont ceux de la respectabilité, de l’honorabilité, de la réussite sociale, politique ou médiatique. Ce sont des masques qui leur valent la reconnaissance, l’admiration et la gratitude du public, car la plupart du temps ces criminels sont connus, célèbres, adulés même parfois. Ce sont des hommes politiques en vue, briguant des postes importants ; des stars de cinéma, acteurs, réalisateurs ou producteurs dont la carrière est ou a été couronnée de succès ; des artistes du spectacle qui soulèvent le soir des torrents d’applaudissements et des lueurs d’étonnement admiratif ; des enquêteurs privés qui ont acquis une renommée dans leur profession parce qu’ils gèrent avec brio leur affaire ; des écrivains dont la photo et le nom sont connus dans tout le pays et dont les derniers titres s’arrachent dès leur parution. Mais ce sont des criminels. Et dans ce paradoxe qui unit la réussite et le crime se joue à chaque lever de rideau la même pièce, à peu de choses près, dans chaque épisode de Columbo.

Par son systématisme et sa perfidie (absolument), la croisade subversive de Columbo est presque un mythe moderne, mais en parfaite cohérence avec le vieux mythe grec de l’hubris, la démesure, mythe fondamental dans la culture et la tragédie grecques, par lequel l’homme est puni lorsqu’il cherche à s’élever au-dessus des autres et défie les dieux. C’est cette notion qui est à la base d’Oedipe Roi, archétype du récit policier où un roi est brutalement et cruellement jeté à bas de son piédestal pour avoir voulu échapper au destin que lui avaient tissé les Parques et annoncé un oracle. En l’occurrence, Columbo traque les imposteurs pour les faire, eux aussi, tomber de leur piédestal, qu’ils ont acquis ou conservé de manière malhonnête ou dont ils trahissent l’honneur et les responsabilités. L’écrivain de « Le livre témoin » (l’épisode réalisé par Steven Spielberg débutant chez Universal) a acquis le succès en n’écrivant pas une ligne et tue son associé pour éviter qu’il ne le révèle ; le politicien de « Candidat au crime » tue pour empêcher que sa carrière ne soit ruinée en pleine période électorale, et trahit par le fait l’esprit de la politique (son esprit idéal, bien sûr) ; la star déchue de « Requiem pour une star » tue pour garder enfoui un secret qui salirait irrémédiablement sa gloire passée. A quelques exceptions près, les criminels de Columbo commettent ce péché d’orgueil qui les rend prêts à tout pour rester au sommet qu’ils ont atteint, chacun dans son domaine.

La subversion de Columbo réside dans sa nature, certes : cet Italo-américain aux épaules tombantes et à l’oeil torve, fumant le cigare bon marché et se promenant partout avec un imperméable des plus commun, peut-être même jamais lavé, irrite les « puissants » parce qu’il dépareille leur environnement savamment arrangé, traînant dans tous les coins ses chaussures sales et mettant sa cendre dans les cendriers, quand ce n’est pas sur les tapis ; il agace par ses manières à la fois obséquieuses et familières, faussement naïves et envahissantes, comme sont ses questions. Mais la méthode même de l’inspecteur est subversive : car c’est en utilisant les connaissances du criminel qu’il finit en général par confondre celui-ci, le prenant par conséquent à son propre jeu, dans lequel il avait eu l’arrogance de se croire le meilleur. La recette est imparable et répond à un besoin profondément enraciné dans notre âme collective : l’inversion des rôles – le gueux devenant noble, le noble gueux – est la base même du carnaval tel qu’il se célébrait au Moyen-Age, et n’est qu’un écho du mythe grec dont la forme pragmatique pourrait être aujourd’hui « le désir de justice ».


En voyant ce petit inspecteur malingre et commun, dont la femme fait des gâteaux, regarde la télévision et s’intéresse à tous les potins, ôter leur superbe aux « parvenus » qui se considèrent – à tort – au-dessus des lois, chaque téléspectateur peut avoir le sentiment d’avoir assisté à une démonstration de justice idéale, sans les complexités du système judiciaire, simplement par l’affrontement de deux hommes, de deux esprits, de deux figures manichéennes : le bon et le méchant. C’est là, me semble-t-il, la nature profonde de ce spectacle, qui met en scène non un enquêteur arrogant et bourgeois, comme pouvaient l’être Sherlock Holmes ou le Dupin d’Edgar Poe, mais un homme ordinaire convié parmi les puissants pour les ramener aux justes proportions de l’humanité et les faire descendre de leurs sphères lointaines, tout là-haut, au-dessus des mortels.

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