Quels sont vos premiers souvenirs de cinéma ?
Un film en particulier, ou un genre ?
Eh bien, les premiers souvenirs sont ceux que l’on peut avoir quand on est enfant ou adolescent, pour ma part dans les années 1950. Je suis né en 1941, le surlendemain de Pearl Harbor, c'est-à-dire le 9 décembre. J’ai commencé à aller au cinéma dans les années 52, 53, 54 ; et quand vous allez au cinéma dans ces années-là, vous voyez Les Affameurs, L’Appât, Le Prisonnier de Zenda, Ivanhoé... des films formidables que l’on considère aujourd’hui, à raison, comme des chefs-d’œuvre, même si à l’époque ce n’était pas le cas. Et donc, lorsque l’on est enfant à cette époque-là, on ne peut qu’être fasciné par le cinéma hollywoodien. Plus que les films policiers et les comédies musicales, qui ne sortaient pas beaucoup à ce moment-là, c’était surtout ce formidable cinéma d’aventures avec Burt Lancaster, Stewart Granger ou Robert Taylor. Naturellement, il y avait aussi le western, l’un des genres majeurs de ces années-là, avec John Wayne ou Gary Cooper. Et c’était le bonheur de les voir à cette époque en salles de cinéma, et pas uniquement à la télévision et en DVD.
Est-ce difficile de retrouver cette même sensation de cinéma aujourd’hui ? Si, enfant, vous découvriez le cinéma aujourd’hui, ressentiriez-vous cette même fascination ?
Certainement pas. Si j’allais au cinéma aujourd’hui, à 12 ou 14 ans, pour voir les films qui sortent, ce ne serait certainement pas le cas. Aujourd’hui, je ne m’intéresserais pas au cinéma, mais peut-être plutôt aux jeux vidéos par exemple. Parce que je ne retrouverais pas l’enthousiasme de quelqu’un qui découvre des films, et surtout l’enthousiasme des gens qui ont fait les films. Et puis, voyez-vous, certains genres ont complètement disparu : le western, par exemple. De nos jours, il en sort un par semestre, et encore... La comédie musicale a disparu aussi, et le film d’aventures est miné par l’image de synthèse, qui n’est pas inintéressante sur un plan technique, mais qui donne tout de même beaucoup moins de vérité au film. Je ne m’enthousiasmerais pas pour ce que je vois actuellement. Et je parle en connaissance de cause : je vois ces films, je vais beaucoup au cinéma, presque tous les jours. Je ne fais pas d’ostracisme, je continue à voir quantité de films, aussi parce que j’aime beaucoup les salles de cinéma avec le public, choses auxquelles j’ai été habitué autrefois. J’aime l’odeur d’une salle et son atmosphère. Il ne faut pas oublier que le DVD ne reste qu’un succédané des salles de cinéma.
Y aviez-vous un but particulier et aviez-vous déjà le désir de constituer un Ciné-club (seconde chaine en 1971), quand vous avez commencé à travailler à l’ORTF ?
Ecoutez, quand j’ai terminé mon service militaire, mon premier but était de trouver un boulot. Je préférais trouver un travail au cinéma ou à la télévision, plutôt que dans un secteur qui m’intéressait beaucoup moins. Je me suis dit que ce serait bien d'entrer à la télévision, car une fois que j’y aurais mis mon pied, je verrais bien comment ça se passe là-bas, et au moins je toucherais de l’argent pour vivre. Ensuite, quand je suis vraiment entré à la télévision, j’ai vu qu’il y avait diverses possibilités. J’ai rencontré mon ami Claude-Jean Philippe, que je connaissais déjà. Et puis certaines personnes ont préféré que je m’occupe d’autre chose que de Cinéastes de notre temps. J’y étais très content et très bien, mais on m’a demandé de m’occuper des séries télévisées étrangères. C’était une très bonne période, puisque arrivaient des séries comme Mission : Impossible, Mannix, Le Prisonnier... Chapeau Melon et Bottes de cuir arrivait en couleur. Par exemple, j’ai vu le pilote du Prisonnier avant tout le monde. Le producteur d’ITC m’avait dit : « Je voudrais vous montrer une série qu’on est en train de faire, qu’on trouve un peu curieuse... On va vous envoyer le pilote. » On m’a envoyé l’épisode en 35mm. J’étais seul dans la salle de projection et ça m’a fait un choc, c’était effectivement très curieux. C’était une série formidable. Il y avait également Les Envahisseurs, très bonne aussi. C’était l’époque où commençaient les séries en couleurs. Et en même temps, je m’occupais des films avec mon ami Claude-Jean Philippe car nos bureaux étaient voisins. S’il y avait des films que je ne connaissais pas, j’en profitais pour les regarder. Il savait que je connaissais bien le cinéma américain, on déjeunait ensemble. Et quand il a quitté ce travail pour devenir producteur, pour avoir les mains libres et peut-être gagner un peu plus d’argent, j’ai obtenu le poste. Et dans l’éclatement de l’ORTF, dans la malheureuse application de la loi de 1974, je suis venu sur France 3 qui devait être, selon les vœux des législateurs, la chaine du cinéma, des régions et de la libre parole. J’ai donc abandonné le Ciné-club de la deuxième chaine, et on a très vite créé le Cinéma de Minuit.
Arrive donc le Cinéma de Minuit, en 1976. Ce programme vous permet de proposer un film par semaine, en version originale sous-titrée, afin de permettre aux téléspectateurs de découvrir des films invisibles depuis de nombreuses années, voire quasiment inconnus. Racontez-nous un peu l’aventure de cette émission.
Quand FR3 a commencé, en janvier 1975, on avait quatre films en batterie à 20h30. Les quatre films étaient en version française, la chaine démarrait. Il n’y avait pas de télécommande, chose impensable aujourd’hui, et il fallait tomber sur la chaine en tournant le bouton rotatif de la télévision. On avait besoin des films pour booster la chaine. Et ça s’est bien passé, puisque la chaine existe encore aujourd’hui. Mais il manquait une case pour diffuser des films muets et des films en version originale. Les films difficiles, on en plaçait toujours un parmi les quatre autres, entre deux films plus "costauds". Les premières parties de soirée dans les premières semaines de FR3 étaient assez originales, car on avait quelques films assez difficiles, c'est-à-dire aussi en noir et blanc, chose qui est impensable aujourd’hui. Mais donc, il manquait une case. J’en ai parlé et j’ai convaincu, sans trop de problème, Maurice Cazeneuve, qui était directeur des programmes, et Claude Contamine, qui était le président de la chaine, de la nécessité d’avoir une telle case. En revanche, là où on a eu un problème, c’est que la profession cinématographique, qui n’est pas tellement intéressée par ce type de cinéma, s’y est opposée. On nous a dit : « Vous avez déjà quatre films, pas question d’en avoir un cinquième. » Même si celui-ci était totalement différent de genre et d’heure, puisqu’il devait passer à 22h30 et pas en prime time. Donc il a fallu négocier et pour obtenir le Cinéma de Minuit, on a abandonné la télédiffusion du Masque et la plume, aussi parce que de toute façon ça il allait devenir problématique de la garder. Le principe de cette émission était justement de la télédiffuser, or les gens du cinéma l’ont très mal pris. Ils considéraient que la télévision leur arrachait leur public, ce qui n’est pas entièrement faux et cela même si c’est la marche du temps, et ils voulaient bien admettre qu’il y ait des réserves sur la qualité des films, des critiques, à la radio mais pas à la télé. Quand on a commencé à diffuser Le Masque et la plume à la télévision, ça s’est très mal passé. Donc, on a commencé à diffuser le Cinéma de Minuit, avec une volonté de passer des films différents, d’essayer de couvrir dans la mesure du possible une partie du patrimoine cinématographique par le biais de cycles d’acteurs, de réalisateurs, de thèmes, de périodes... Et j’ai tenu à proposer une programmation par cycles, parce que je crois énormément à la vertu pédagogique des cycles. Je pense que si on passe six films de Fritz Lang à la suite, même si les gens n’en voient que trois ou quatre, ils auront établi, même inconsciemment, des liens entre certains de ces films. Si en revanche on passait les six films sur une période de six ans, il faudrait être très fort pour établir des connexions. Alors il y avait cela, puis une petite présentation que je faisais et dans laquelle je ne donnais absolument aucun goût. Et Maurice Cazeneuve, notre directeur des programmes, a souhaité à ce moment-là que ce soit moi qui la dise. Au départ, je voulais qu’il y ait une présentation, mais j’avoue que j’aurais préféré que la speakerine s’en occupe plutôt que moi. Et comme il n’y avait pas d’argent pour payer quelqu’un d’autre de toute façon, c’est comme ça que je l’ai fait.
Comment s’est posé le problème des droits pour obtenir l’autorisation de diffuser certains films ?
C'est très très très compliqué. Et c’est de pire en pire depuis trois / quatre ans. Parce qu’on arrive aujourd’hui à des périodes où les droits de certains films doivent être renouvelés, ce qu’on appelle les droits d’auteur. Bon, si vous voulez, moi je suis auteur, j’écris des livres et je suis très respectueux du droit d’auteur, attention. Mais les héritiers abusifs me fatiguent beaucoup. Alors quand ce sont des enfants ou des petits-enfants… [Il hoche un peu la tête] Quand aujourd’hui, vous ne pouvez pas passer de films, parce qu’il y a des petits cousins ou des petits-neveux, qui souvent n’ont jamais rencontré la personne dont ils sont les héritiers, et qui exigent des sommes aberrantes des producteurs ou des distributeurs, qui du coup ne les leur donnent pas, on se retrouve avec des films bloqués. Là, il y a un vrai problème. Aujourd’hui, il y a tout de même beaucoup de films, de notre patrimoine français notamment, qui sont bloqués pour des questions de droits d’auteur, et c’est invraisemblable ! On ne peut pas diffuser La Fête à Henriette de Duvivier... Je voulais le passer en décembre, on n’y est jamais parvenu. J’avais pourtant à peu près tout déminé, et puis non... mais il ne faut pas prendre de risque, à France Télévisions tout doit être réglé. Toujours pour rester dans le domaine de Duvivier, on ne peut plus voir ni La Belle équipe ni La Fin du jour, qui sont des films marquants, ni en salles, ni à la télévision, ni en DVD. J’espère que ça va se régler, mais on ne peut plus voir non plus Monsieur Ripoix, ni Le Diable au corps, tous deux avec Gérard Philippe. Et je peux en citer d’autres ! Quand le droit d’auteur aboutit à une espèce de gel de films marquants du patrimoine, il y a un problème... qui ne cesse d'empirer. Je me bats sur des problèmes de droits. D’abord, je perds un temps énorme avec ça, et je ne parviens pas tout le temps à les régler, même si j’ai une certaine connaissance juridique, notamment des droits cinématographiques. Il y a des héritiers, complètement azimutés par le DVD, la VOD, etc…, qui demandent tout de même 50% de l’opération financière faite sur un film ! Evidemment, les producteurs ne les donnent pas, et je trouve qu’ils ont raison.
Dans les années 80, le problème était moins présent.
Il a toujours un peu existé, mais il s'est considérablement accentué ! Et c’est très grave, parce que cela veut dire qu’aujourd’hui, dans des compagnies qui ont des gros catalogues de films, quand il y a un problème avec une œuvre, alors elle sort du catalogue. Ce qui signifie que plus personne ne parle de ce film-là. Et que si un jour, et je parle notamment des films américains, il y a un problème sur le négatif et qu’il faut sortir de l’argent pour le rénover, ils ne le feront pas. Ils ne vont pas sortir de l’argent pour rénover un film qu’ils ne peuvent pas vendre. Ce ne sont pas des humanistes, il faut se mettre à leur place aussi. Et ces films disparaissent... J’ai passé des films au Cinéma de Minuit il y a quelques années que je ne peux plus passer. Certains films italiens par exemple. Au siècle dernier, le cinéma a déjà été victime de destructions épouvantables : 80% de tout ce qui a été tourné à l’époque du muet est perdu à tout jamais, de tout ce qui a été tourné avant 1927... Imaginez si tout ce qui a été écrit entre 1895 et 1927 avait été détruit ! Si vous voulez lire n’importe quel roman qui a été écrit en 1920, vous prenez la ligne Météor, vous allez à la Grande Bibliothèque et vous le lisez. C’est effrayant, John Ford a tourné 150 films et il y en a 50 qui sont perdus. Mais aussi Lubitsch, Hitchcock, Capra, Hawks, Murnau, Lang, etc... Et aujourd’hui, ce sont des problèmes juridiques qui empêchent de voir des films ! Tout ça commence à faire beaucoup... Quand on arrive en fin de contrat et qu’il faut que le producteur ou le distributeur le renouvellent, c’est à ce moment-là qu’ils tombent sur des ayants droits qui ont des avocats leur disant : « N’acceptez pas ça. Demandez plus. »
Dans les années 1980, vous avez également participé à l’émission La Dernière séance, présentée par Eddy Mitchell. Quel a été votre rôle au sein de ces diffusions, et pourquoi cette émission a-t-elle finalement disparu ?
Cette émission a été lancée par Serge Moati, directeur des programmes de FR3 à cette époque. Je me suis occupé du choix des films avec Gérard Jourd’hui. On voyait moins souvent Eddy Mitchell. C’est Gérard Jourd’hui qui le voyait, qu’il connait depuis très longtemps. Je ne m’occupais pas du tout du tournage, de l’aspect production. Je m’occupais du choix des films et des dessins animés. Et ça s’est très bien passé avec Gérard Jourd’hui et Eddy Mitchell. Pourquoi l’émission s’est-elle arrêtée ? Alors, l’audience a un peu diminué, mais c’est toujours le cas pour une émission qui perdure. Et puis surtout, je pense qu’ils avaient envie de faire autre chose l’un et l’autre, ça j’en suis sûr. Ils pensaient peut-être que c’était toujours la même chose, que cela ronronnait un peu. Et je pense ègalement que ça a été plutôt de leur fait que de celui de la chaine.
Parlons du DVD maintenant. Pour vous, en quoi le DVD change-t-il quelque chose aujourd’hui dans la conceptualisation de la cinéphilie ? A-t-il modifié la vôtre ?
J’appartiens à une certaine génération... C’est quelque chose que les gens de la vôtre ne peuvent absolument pas imaginer. Les gens de ma génération avons été extrêmement frustrés. On avait une chance, c’est qu’il existait beaucoup de salles de cinéma dans les quartiers. Il y avait un grand vivier de copies qui circulaient encore. Voilà pour le côté positif. Le côté négatif, c’est qu’il y avait des films qu’on ne voyait jamais. Pour vous donner une idée, à l’époque, on a mis pratiquement quatre, cinq ou six ans pour voir La Rivière rouge de Hawks, Les Amants du Capricorne d’Hitchcock, Pandora d’Albert Lewin, des films comme ça. On les traquait sans arrêt bien sûr. Aujourd’hui, vous allez à Virgin ou à la Fnac, vous les trouvez tout de suite. C’était des films mythiques. Impossible de les voir.. Donc, il y a eu une énorme frustration. J’avoue que si vous m'aviez posé la question il y a quarante ans, jamais je n’aurais pu imaginer avoir les films que j’aimais sous la main, comme j’avais sous la main les livres que j’aimais. C’est une chance exceptionnelle qu’on a maintenant, dont on ne se rend même pas compte. Les gens de votre âge, ou bien mes enfants, ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont. Je pense en même temps que les films se méritent, que l’effort qu’on a pu faire pour voir les films, pour les découvrir, pour les retrouver... tout ça fait partie de la connaissance que l’on peut avoir des films. Et aujourd’hui, c’est en effet très souvent facile. Peut-être trop facile. Tenez, par exemple, j’ai des amis qui font venir des tonnes de DVD des Etats-Unis et qui ne vont plus jamais au cinéma. Ils ont perdu le contact avec la salle, et avec le public en même temps. Sinon, blague à part, moi je suis ravi de posséder les DVD des films que j’aime. Déjà, ça permet de travailler dessus, au lieu de se dire : « Ah mince, le film est passé une fois à la télé, je vais attendre cinq ans pour le voir, ou six ans ! » Mais ce que je dis pour le DVD, à la limite j’aurais pu le dire pour la VHS. Le vrai changement a été la VHS. L’apport du DVD est dans le fait d’avoir les différentes langues et une qualité d’image bien souvent meilleure.
Des éditeurs indépendants comme Montparnasse ou Bach Films privilégient souvent la quantité à la qualité. Montparnasse, par exemple, a mis la main sur de belles copies en de nombreuses occasions, mais parfois aussi sur des films aux copies médiocres. Bach Films est assez coutumier du fait en ce qui le concerne. Malgré tout, la très bonne volonté de ces éditeurs nous permet de redécouvrir des films souvent ignorés ou inconnus du grand public. Par ce biais, selon vous, quelle semble être la meilleure politique éditorialiste ?
Je pense qu’il faut un peu des deux. Pour des films très connus et dont on sait qu’il existe un matériel en parfait état, on doit être exigeant. En revanche, c’est vrai que par Bach Films, on découvre des films rarissimes, souvent d’ailleurs dans des copies bien meilleures qu’on ne le dit. Parce qu’il y a une espèce de réputation, et les gens de dire : « Ah mais leurs copies, elles sont mauvaises. » Attendez, si on regarde bien, c’est tout de même Bach Films qui a sorti des films comme les Mary Pickford, les films muets de Cecil B. DeMille... C’est une production d’une originalité et d’un courage exceptionnels. On découvre des trucs. Ils ont, je crois, une collection qui s’appelle les inédits ou les raretés de la télévision américaine. Et bien j’ai découvert un téléfilm de Robert Mulligan avec Steve McQueen, ou la première version de Casino Royale avec Peter Lorre ! Ce sont tout de même des films présentés dans de très bonnes copies. Moi, je n’ai qu’une chose à leur dire, c’est merci. Et puis, tout de même, je préfère voir un film dans une copie moyenne que de ne jamais le voir. Quand je vois les films muets qui existent grâce à eux... Il est sorti récemment des films très très rares, certains Lon Chaney par exemple. Ils sont les seuls à sortir ça. C’est un souci patrimonial cinématographique exceptionnel. Je ne sais pas comment ils font leurs opérations, et j’espère qu’ils vont continuer, mais ils ne doivent pas en vendre 6 000. Et c’est plus courageux d'éditer ça que de sortir n’importe quel film d’horreur de 25ème catégorie qui est sorti il y a trois ans en salles et qui ne vaut rien. Et honnêtement, j’ai vu pas mal de films venant de chez eux, et non seulement les copies n’étaient pas si mal, mais en plus je trouve que parfois elles étaient très bonnes. Bien sûr, il faut un minimum de qualité dans la visibilité d’un film. Mais vraiment, grâce à eux, j’ai découvert des films. Et bravo pour le courage. Parce que tous les éditeurs ne sont pas aussi courageux. C’est ce que je pense. Tout le monde se félicite d’aller voir les DeMille muets à la Cinémathèque actuellement, mais ils ne les ont pas attendus pour en sortir, je crois, une dizaine en DVD. Et ils ont eu, dans leur collection de polars à laquelle participe Stéphane Bourgoin, des films tout à fait curieux. Quicksand, par exemple, avec Mickey Rooney, que je ne connaissais pas, est un film très curieux. Ils font un gros boulot en tout cas. Si vous voulez, je pense qu’ils font la même chose que René Château pour le cinéma français. Alors souvent, on dit : « René Château, il n’y a pas de bonus, ils ne remasterisent pas tout… » D’abord, les bonus, c’est très bien, mais l’important c’est le film. Quand vous voyez le nombre de séries B qui existaient avant en VHS et maintenant en DVD chez eux... Mais il n’y a pas un pays au monde où il y a autant de films de son patrimoine accessibles ! Et on trouve souvent de tout petits films ! Alors la plupart du temps, les gens préfèrent le collector, avec une jaquette comme ceci et un boitier comme cela, et ils payent ça 19 euros. Bon... Comme je le disais, pour de très grands classiques, il faut être très exigeant. Et s’il peut y avoir des bonus de grande qualité en complément, c’est très bien. Ce que fait Carlotta est superbe. Le coffret Douglas Sirk, où l'on trouve une interview de Sirk et des témoignages de Fassbinder, c’est passionnant.
Et justement, le principe du DVD est aussi de pouvoir offrir en de nombreuses occasions ce que l’on appelle des bonus, autour du film présenté. Quel est pour vous le bonus digne de ce nom ? Pourriez-vous en citer certains qui vont ont particulièrement intéressé ?
Il m’arrive d’en faire, donc je peux difficilement vous dire que ça ne sert à rien. Mais le vrai supplément, selon moi, c’est une interview de 50 minutes du réalisateur parlant du film. C’est l’idéal. Ce qui est bien aussi avec le bonus, c’est qu’il donne l’impression aux gens qui ne connaissent pas bien le cinéma que c’est un film assez important pour que quelqu’un le présente et en parle, et que ce n’est pas un auteur qu’on a trouvé par terre et mis en DVD. On va dire que ça donne l’impression d'une collection, du produit plus intéressant. Ceci dit, j’ai vu quelques bonus qui étaient sans intérêt... C’est comme les films, il y a de tout. Quand on a un film prestigieux et qu’il n’y a rien avec, eh bien tant pis. Je le répète, le principal, c’est le film. Ce que j’essaie de faire quand je présente des bonus, c’est de remettre un peu le film dans son contexte, en rapport avec son cinéaste, etc... Ce sont des trucs peu prétentieux. Par exemple, Jean Douchet sur Les 400 coups, c’était très bien, très intelligent ! Je me souviens du bonus qu’avait fait Tavernier sur Le Passage du canyon, il y avait des choses très intelligentes... pas tout, mais il y avait des choses très justes. Et en effet, chez Carlotta, c’est souvent très bien aussi. Il y a des cinématographies que je ne connais pas bien, je ne vous le cache pas, comme le cinéma chinois ou le cinéma coréen. Mais quand ils sortent un de ces films en DVD, on a vraiment l’impression qu’il y a des bonus costauds.
On a d’ailleurs l’impression que beaucoup de gens se sectorisent avec ce support DVD. On commence à avoir des fans de films de Kung-Fu, de westerns italiens pure souche... Pensez-vous que cela sert à découvrir des films peu connus ou au contraire que cela biaise un peu la vision des gens quant aux films plus importants ?
Tout existe en DVD, donc tout le monde est content. Mais on établit malgré tout une hiérarchie des valeurs. Il y a les très grands films, les films intéressants, les films moyens et les films peu intéressants. Mais si on veut mettre ces derniers sur DVD, qu’on le fasse, moi ça ne me gène pas. Que ça sectorise le public ? Oui, bon, il y a toujours eu des gens pour dire que le western italien est meilleur que le western américain. Pourquoi pas. Je suis très libéral, après tout. [Rires] Ils ont le droit de se tromper. Si l’abondance de films aboutit à une nivelisation complète des œuvres, c’est dangereux. Il y a toujours des gens qui ne comprendront pas qu’il y a des chefs-d’œuvre, des films moins bons, etc... On le voit bien dans les magasins de DVD, tout est présenté de la même manière. Il y a des espèces de gondoles énormes avec plein de films, on a l’impression d’être à Rungis. Et même là où il y a une volonté de mettre en avant les réalisateurs, il y a des films qui ne sont pas bons. Et il y en a d’intéressants qui n’y sont pas. Ce n’est pas une démarche culturelle, mais plutôt économique. Mais il faut bien que tout le monde vive. Il faut qu’il existe beaucoup de choses, mais il faut des passeurs. Il faut des gens qui, dans des émissions, dans des revues ou dans des magasins, soient des guides. Parce qu’il y a tout de même des œuvres plus intéressantes que d’autres. Et ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas regarder les films des autres, mais simplement qu’il faut aller à l’essentiel.
On ne peut pas voir 1 000 DVD par an, donc il faut d’abord commencer par les films essentiels. Commencer par des films comme La Prisonnière du désert. Après, si les gens veulent voir un Trinita de quatrième catégorie, pourquoi pas. Ils en ont le droit. Et d’ailleurs, s’ils sont intelligents, ils verront bien que La Prisonnière du désert est un meilleur film. Cela devrait être évident, mais en même temps soyons justes, ça n’a pas été évident à l’époque. On considérait que c’était du tout venant.
Non, le danger d’une production de masse, c’est qu’elle n’est pas nécessairement dictée par un véhicule culturel, voilà tout. A chacun d’essayer de séparer le bon grain de l’ivraie. Mais ce n’est pas évident. Et là, je ne veux pas être pessimiste, mais rien ne prouve que le DVD contribue énormément à la culture cinématographique. Est-ce qu’il crée des générations de cinéphiles purs et durs ? Je ne sais pas. Les films anciens ne marchent pas beaucoup. On parlait de Bach Films, et bien je serais vraiment curieux de savoir combien ils en vendent. Enfin, on achètera un Kubrick... mais est-ce qu’on achètera un Walsh ? On achètera un Almodovar... mais est-ce qu’on achètera un Curtiz ? Casablanca, oui, peut-être. The Walking Dead, non. D’ailleurs il n’existe même pas, j’ai recopié ma VHS. On ne voit pas vraiment les grands studios sortir plus de classiques un peu plus difficiles en DVD.
source : dvdclassik
LA PETITE HISTOIRE
SUR
BORSALINO
Ce fut long pourtant d'obtenir la possibilité de diffuser Borsalino : "Deux ans et demi de négociations, résume Brion. Les droits de production étaient toujours à la Paramount, coproducteur du film avec Alain Delon, mais ces droits étaient en jachère. Nous avons dû convaincre la Paramount de réunir autour d'une table tous les ayants droit : scénariste, auteur du livre, acteurs, techniciens, pour qu'un nouvel accord soit signé." La négociation a abouti, ce qui a permis à France 3 d'acheter auprès de Paramount les droits pour deux diffusions. Autre conséquence : on verra bientôt Borsalino en DVD, édité par la Paramount.
Ces difficultés sont monnaie courante pour les grands films. La Vérité de Clouzot, avec Bardot, a longtemps été bloqué, car un scénariste avait demandé trop d'argent à la Columbia lors de la renégociation. L'Étranger , de Visconti, une coproduction entre l'Italie et l'Amérique, est toujours invisible. Profession reporter , d'Antonioni, a dormi durant des années sur les étagères, car Nicholson, qui en avait acquis les droits, ne voulait plus en entendre parler...
Patrick Brion, bible vivante du 7e art, a encore d'autres anecdotes, plus étonnantes encore. "J'ai voulu diffuser Quai des Orfèvres , de Clouzot. Le distributeur me dit : La veuve de l'auteur du livre adapté, Steeman, ne veut rien entendre. J'ai appelé cette dame, qui m'a répondu : Lors de la dernière diffusion, j'ai lu un article qui disait ceci : Quai des Orfèvres est un chef-d'oeuvre adapté d'un mauvais livre. Eh bien, ce chef-d'oeuvre ne passera plus jamais. " Il fallut attendre la mort de la veuve Steeman.... Brion s'est aussi heurté au cas de La Femme et le Pantin . "Serge Silbermann avait produit Cet obscur objet du désir , qui est une adaptation de La Femme et le Pantin , de Pierre Louys. Pour ne subir aucune concurrence, il a racheté les droits, afin de les bloquer, des trois premières adaptations, signées Baroncelli, Sternberg et Duvivier !".
Patrick Brion éprouve parfois de très grands plaisirs : "Nous venons de dénicher un des 10 films les plus recherchés du monde. Il s'agit de Bardelys , de King Vidor, avec John Gilbert. Serge Bromberg l'a retrouvé dans les boîtes d'une cave en France. Lorsque nous aurons retrouvé les ayants droit, nous pourrons le diffuser."