Chorégraphe ambigu et pervers dans Black Swan, Vincent Cassel revient pour nous sur le tournage d'un des films les plus importants de l'année. Il évoque sans langue de bois son parcours, ses projets, son image, sa relation avec les metteurs en scène. Un entretien qui confirme pour ceux qui ne le sauraient pas encore que Cassel est un des comédiens les plus importants de ce pays et de sa génération.
Pourquoi vous a-t-il choisi ?
Je crois qu'il m'apprécie comme acteur, parce j'ai joué dans des films qui lui ont plus. Il a beaucoup aimé la Haine, Irréversible, c'est un grand fan de Cronenberg.
Accepter ce rôle, est-ce aussi retourner aux sources, vis-à-vis de votre père ?
Alors ça, je m'en suis rendu compte en second lieu. Ce qui m'a d'abord attiré c'est Darren, travailler avec lui. J'ai vu ses films et je suis persuadé que c'est un des meilleurs metteurs en scène de sa génération. Et du coup ça me chauffait d'aller faire un film avec lui. Quand il m'a proposé le truc de la danse, je n'ai pas tout de suite pensé à mon père et à son passé de danseur. Mais je trouvais le personnage ambigu, qu'il avait de bonnes répliques. Que ce soit le seul mâle au milieu de toutes ces actrices, je me disais que c'était une bonne position. Après j'ai réalisé que tout d'un coup, tout ce que j'avais vécu plus jeune allait me servir, que je sois le fils de mon père allait me servir, que le fait d'avoir grandi dans des studios de danse allait me servir. Que mon père ait joué dans Chorus Line à l'époque - vous connaissez Chorus Line ? Et bien je joue le même rôle. Mon père y interprétait Zach, et tout d'un coup j'ai trouvé une espèce de mécanique céleste, vraiment intéressante, et plus personnelle.
Vous avez beaucoup répété en amont ?
Pas trop, parce qu'on se faisait un peu chier pendant les répètes, on ne pouvait pas vraiment y aller. Alors c'était un peu plat à la lecture, je n'allais pas commencer à rouler des pelles à Natalie toutes les trois minutes en répète, c'est toujours un peu délicat. C'était surtout pour passer du temps ensemble, qu'on sache tous les trois, Darren, Natalie et moi, en face de qui on était. Et puis finalement, on arrive sur le plateau, et il faut y aller. Et comme Natalie est quelqu'un qui n'a pas froid aux yeux, et je crois que moi non plus, et bien on y a été.
Est-ce qu'il n'y a pas une grande appréhension à tourner avec un réalisateur avec qui on rêve de travailler ?
En fait je ne rêve pas de travailler avec qui que ce soit. Je suis fasciné par Darren, mais je ne me suis jamais dit avant qu'il m'appelle que je rêvais de travailler avec lui, je ne me dis ça de personne en fait. Je ne vois pas le metteur en scène comme une entité sublime qui se rapproche de Dieu. Je me dis voilà des gens qui ont des univers intéressants, et que je pourrais partager un moment enrichissant. C'est marrant, on m'a demandé « Est-ce que vous cherchez un père dans les metteurs en scène? » Carrément pas une seconde. Dans le film je remplace un peu le père que Natalie n'a pas...
Et les comédiens ne sont pas narcissiques ?
Le comédien ne peut pas se regarder dans la glace sinon il commence à jouer comme un pied. Le danseur, lui, est obligé d'apprécier la qualité de ses mouvements dans la glace. Un studio de danse, c'est un endroit rempli de miroirs. Un acteur ne peut pas se regarder jouer, sinon il ne joue plus. C'est tout con, mais c'est la réalité. Le danseur doit constamment regarder la ligne de sa jambe, c'est un métier qui nécessite de se regarder dans un miroir. On ne peut pas être danseur sans miroir. Mais pour revenir à ce que vous disiez, les comédiens sont également narcissiques.
Vous parliez tout à l'heure de la place qui vous est attribuée. Est-ce que vous êtes du genre soldat obéissant, ou plutôt rebelle ?
Je ne suis pas un acteur chiant. J'ai été un acteur chiant, il y a longtemps. Mais c'était au début je savais pas très bien, je dépensais trop d'énergie pour arriver au même résultat. Maintenant que je sais comment ça fonctionne, je ne viens pas faire chier au moment où ce n'est pas utile. J'analyse vite ce qui se passe sur un plateau, je n'ai pas de jeu d'égo. Quand j'ai atterri sur Black Swan, j'étais ravi de ce que j'avais à faire avec Darren et Natalie, mais ce n'est pas mon film. C'est le film de Natalie.
Comédien, c'est une passion, une vocation, un métier ?
Ce n'est pas un métier ça c'est sûr. Une vocation, ça respire trop la souffrance, j'ai l'impression que ça devient religieux et c'est pas du tout le cas. C'est une passion, j'ai toujours voulu faire ça vous savez. Un peu vétérinaire quand j'avais 7 ans et puis c'est passé à acteur. Et je pense que je n'échangerais cette position pour rien au monde. C'est un métier quand on le fait avec un peu de recul, qui permet d'avoir une vie... Je mène l'existence dont je rêvais quand j'avais 17 ans.
André Dussolier disait : il y a le script qu'on lit, le celui qu'on tourne, celui qui est monté. C'est souvent très différent.
En fait quand le script est bon à l'écriture, c'est le même qui est monté. Mais c'est réellement très difficile d'avoir un bon script. Des scripts qui étaient vraiment très bons à l'écriture et ont été montés tels qu'ils avaient été écrits, j'ai dû en faire deux. Allez, trois. La Haine, Sur mes lèvres, et...
Mesrine ?
Non, parce que le script était bien, mais ce n'était pas celui qu'on a tourné. Donc le troisième je dirais ...
Sheitan ?
Non Sheitan, ce n'était pas le script... Mais attention, il peut y avoir de très bons films qui vont se fabriquer de manière plus organique. Mais c'est vrai qu'avec un bon script, il y a moins besoin de travail sur le plateau.
Avec Irréversible...
Y avait pas de script ! En tout cas, un très bon script ,c'est assez rare. En l'occurrence, quand j'ai vu Black Swan, j'ai été surpris. C'est meilleur que le script. Ce que Darren a fait avec la caméra, cette richesse visuelle n'était pas dans le script. Avec très peu d'argent, je peux vous le dire, tout est à l'image. Je crois que c'est le film où j'ai été le plus mal payé de ma vie, à part ceux que je produis moi-même. Il y a des films qu'il faut faire pour l'amour du cinéma, et celui-là en est un.
Il en a de la chance Darren...
Je ne fais jamais un film pour l'argent. Quand j'ai besoin d'argent je fais autre chose. De la pub des voix, autre chose. Pas des trucs ringards non plus, je ne fais pas de pub pour le jambon. Je fais des choses qui vont dans le sens de ce que j'ai envie de faire, mais tourner des films à proprement dit, je ne le fais pas pour l'argent. Heureusement il y a des films où je suis bien payé quand même, parce que sinon ce serait dur...
Après, c'est très bon pour votre carrière, parce que c'est un grand film, et ça ouvre forcément l'imagination d'autres réalisateurs.
De toute façon je fais du cinéma pour faire des bons films, c'est surtout ça.
Oui, et puis même si ce n'est pas « votre film »...
Vous savez je n'ai pas d'ego mal placé, et puis faire « son » film, c'est très fatiguant. Donc de temps en temps d'être là sans porter le truc sur mes épaules, ça ne me dérange pas.
Est-ce qu'on peut avoir un rapport affectif avec des metteurs en scène comme Darren, ou Cronenberg ?
J'ai cru il y a longtemps au rapport affectif automatique, parce que j'ai commencé à bosser avec des gens de ma génération. La vie et le temps m'ont fait comprendre qu'il ne faut pas trop compter là-dessus, parce que les choses changent. Maintenant je ne recherche pas ça absolument. Il y a des rapports de sympathie qui se créent, mais ce n'est pas obligatoire pour travailler. Par contre, le conflit en général c'est fini. D'abord les conflits ne font pas de bons films, j'en suis persuadé. Je ne supporte plus les trous du cul tout simplement. Quand j'étais plus jeune, j'étais prêt à avaler un peu de la merde, maintenant dès que je sens que quelqu'un est dans le rapport de force, je zappe direct.
Souvent, les acteurs, lorsqu'ils ont des enfants, utilisent ce prétexte pour pouvoir jouer des rôles un peu plus grand public. Ce n'est pas votre cas. La comédie ne vous tente pas ?
Alors moi quand je fais une comédie ça s'appelle Sheitan. Moi ça me fait marrer quand je vois une nana qui branle un chien, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ! J'ai eu l'opportunité de faire des films pour les kids, mais ça me fait chier, ça m'emmerde. Je n'ai pas le temps. Faut que je m'y retrouve, je ne peux pas faire des films que pour le public. C'est long un tournage, même un tournage court, ça dure deux mois. Et moi deux mois, juste pour faire plaisir à quelqu'un, je ne peux pas. Faut que je m'y retrouve, que j'y prenne du plaisir. Et puis je ne vais pas faire des films pour que mes enfants les voient, ce n'est déjà pas facile de vivre avec des parents célèbres, je préfère regarder les films des autres avec eux.
Et Fantomas ?
Fantomas je ne le fais pas. Je ne peux pas être au four et au moulin comme on dit (...) Il y a un film que j'ai fait dont j'ai vu juste des morceaux, mais j'attends ça avec impatience, c'est le film de Dominique Moll, Le Moine. Il m'a emmené sur un terrain où je n'avais jamais foutu les pieds.
Ce sera prêt pour Cannes ?
J'espère bien.
Est-ce que vous sortez enrichi de chaque tournage ?
C'est l'idée de choisir ses films. Si je sors d'un film et que ça ne m'a servi à rien, je suis déçu. Donc, j'essaie d'en ressortir toujours avec quelque chose en plus et en moins. Parce que si on est sur un film un peu chaud, on y laisse toujours quelques plumes.
Et Black swan était un film un peu chaud ?
Oui. Quand même. Faire un film qui n'est pas dans sa langue, c'est toujours un challenge. Et puis, je fais comme si c'était normal, mais se trouver sur un marché qui n'est pas le sien, se coltiner la promo, se retrouver face à des gens qui ne sont pas de votre culture... J'adore ça parce que c'est un challenge, mais ce sont des risques, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. L'expérience ne se limite pas au tournage, ce sont les répètes, la promo aussi, et puis je suis sur un terrain qui n'est pas le mien. En France, je connais tous les techniciens, sur un film américain, je suis en territoire inconnu. Ça m'oblige à m'adapter, à comprendre comment ça marche, et on apprend beaucoup.
Vous en sortez comment de ce film là ?
D'un point de vue purement basique, j'ai fait partie d'un des plus gros succès de l'année sur le marché américain, et ça va m'ouvrir énormément de portes. Rien que pour ça, ça valait le coup.
C'était l'ambition, de vous ouvrir des portes ?
Moi, mon ambition c'est d'être de plus en plus libre. Donc plus j'ai accès à des marchés différents plus ça me permet de choisir. L'Amérique étant la pierre angulaire du cinéma international, c'est très important. Maintenant d'avoir tourné au Brésil a été super utile, parce que j'ai un projet là-bas. Ça m'a ouvert des portes, m'a mis en contact avec des gens. Tant qu'on s'amuse, il y a de l'espoir.
Qu'est-ce que vous y développez ?
Le prochain Kim Chapiron. Une comédie romantique au milieu du carnaval de Rio.