Des centaines d'interprètes de films sortis avant 1985 n'ont rien perçu sur les ventes de cassettes, DVD... La fronde s'organise contre chaînes et producteurs.
Bip ! Bip ! Fini les soirées endiablées à danser sur Y a du soleil et des nanas. L'acteur Michel Creton, qui incarna Boursault, l'animateur des Bronzés en costume blanc, ne rigole plus. Si son personnage meurt piqué par une raie, l'artiste, lui, est piqué au vif. L'objet de sa croisade porte sur un oubli d'importance. Il n'a jamais rien touché sur les ventes de cassettes VHS, DVD, Blu-ray, ni sur la vidéo à la demande de ce film devenu culte. "En 2000, StudioCanal m'a demandé de participer à des bonus pour la réédition du DVD du film, se souvient l'interprète. J'ai répondu favorablement à leur demande. Puis je n'ai plus eu de nouvelles, alors que les ventes dépassaient largement le million d'exemplaires. J'ai donc demandé tout naturellement des comptes... que je n'ai jamais obtenus. Devant un tel mépris, je n'ai eu d'autre choix que de saisir la justice."
La fronde du comédien dure maintenant depuis trois ans. Mais l'affaire va prendre une tout autre dimension. Car son cas n'est pas isolé. Plusieurs centaines d'acteurs français n'ont rien perçu sur des films dans lesquels ils ont joué entre 1960 et 1985. La faute aux contrats. A l'époque, aucune disposition ne prévoyait de rémunération annexe sur le DVD, la cassette ou la vidéo à la demande. Et pour cause : ces modes de diffusion n'existaient pas !
Le 23 septembre, Jean-Paul Belmondo (A bout de souffle, Pierrot le Fou), Alain Delon (La Piscine), Marlène Jobert (Nous ne vieillirons pas ensemble), Anny Duperey (Un éléphant, ça trompe énormément) ou encore Michèle Morgan (Le Quai des Brumes), ainsi que des dizaines d'anonymes, ont rejoint le combat de Michel Creton. A travers l'Adami, une société de gestion collective des droits des artistes, ces célébrités ont adressé une mise en demeure à tous les détenteurs de catalogues : Studio-Canal, TF 1 Droits audiovisuels, SNC (groupe M 6), Pathé, Gaumont, MK 2... Ils leur ont donné jusqu'à la fin du mois d'octobre pour ouvrir des négociations afin de payer leurs dus. Faute de quoi, ils s'exposent à être assignés en justice pour délit de contrefaçon... Comme de vulgaires pirates.
"Nous sommes étonnés de voir les interprètes se réveiller si tard", se défend le représentant d'une des sociétés concernées. De fait, la plupart des comédiens ont longtemps préféré se taire, de crainte d'être mis à l'écart des tournages. Mais, aujourd'hui, la diminution des cachets perçus et l'âge avancé de nombre d'entre eux changent la donne. "Les artistes, quels qu'ils soient, connus ou pas, sont tous frappés un jour par la précarité, souvent causée par une retraite indécente ou simplement par un accident de la vie", explique Philippe Ogouz, président de l'Adami.
Les sommes en jeu ne sont pas minces. Même si elles reposent sur des estimations floues, faute pour les plaignants de connaître l'exact volume des ventes réalisées entre la fin des années 1970 - date des premières VHS - et 2010. Les oeuvres ont souvent été rééditées, remastérisées, voire mises en coffret, comme Les Gendarmes de Saint-Tropez ou la trilogie des Bronzés : la manne potentielle pourrait atteindre au total plusieurs dizaines de millions d'euros. "Je pense surtout à ceux qui sont dans le besoin et manquent de moyens, ce qui n'est pas mon cas", souligne la comédienne Michèle Morgan. "Pour certains artistes, qui touchent à peine de 400 à 600 euros de retraite par mois, ce serait une chance inespérée de sortir la tête de l'eau", confirme Philippe Ogouz.
Ce conflit tombe au plus mal pour les chaînes de télévision et l'industrie du cinéma. Sous leur pression, le gouvernement a créé la Haute Autorité pour la protection des oeuvres sur Internet (Hadopi), destinée à lutter contre le téléchargement illégal de musique et de films. Cette même autorité doit également promouvoir les offres légales et payantes... alors qu'elles ne garantissent pas toujours une juste rétribution des interprètes. Un comble.
Reprendre les contrats : un travail de titan
"Nous sommes ouverts à la discussion avec les acteurs, mais cela doit évidemment se faire dans le cadre d'un accord collectif, explique Franck Mandelsaft, directeur juridique à StudioCanal, détenteur du plus grand nombre de titres à son catalogue en France. En revanche, les demandes qui nous ont été faites ne sont absolument pas réalistes, notamment sur le plan économique." La loi Lang de 1985 pose le principe d'une rémunération par mode d'exploitation, y compris sur les années antérieures. Mais elle ne stipule pas comment calculer la quote-part des comédiens.
Les chaînes et les producteurs ne se lassent pas de souligner que reprendre tous les contrats un à un représente un travail titanesque. Surtout, ils savent que les acteurs ne peuvent les attaquer collectivement devant la justice. Cette procédure, appelée class action aux Etats-Unis, n'existe pas en France. Dès lors, si aucun accord collectif n'est trouvé avec les syndicats et les agents d'artistes, il faudra engager des centaines de procès longs et complexes, au cas par cas. Un chemin de croix que seules des stars peuvent se permettre de suivre (lire l'encadré).
Michel Galabru met M6 à l'amende
Il a sorti le sifflet et la matraque ! L'adjudant Jérôme Gerber, un des gendarmes de Saint-Tropez, a sanctionné SNC, filiale du groupe M 6. L'acteur Michel Galabru, qui apparaît au côté de Louis de Funès dans les six films de la série Les Gendarmes, produits entre 1964 et 1982, a réglé son différend. Seul. Pas moins de 2,5 millions de VHS et de DVD ont été vendus, dont un coffret collector sorti en 2007. Pour récupérer l'argent tiré de l'exploitation de la série, le comédien a intenté un procès en contrefaçon contre SNC, filiale de M 6. L'action en justice a été menée en 2009 et s'est soldée par une médiation, restée confidentielle, entre l'acteur et le groupe de médias. Une somme d'une centaine de milliers d'euros aurait été versée.
"Depuis cet épisode, d'autres interprètes extrêmement célèbres ont décidé de prendre le même chemin", note l'avocat Alain de la Rochère, qui se refuse à confirmer le montant de la transaction. Des démarches que les seconds rôles, souvent moins connus, hésitent à engager seuls. Pour calmer le jeu, certains détenteurs de catalogue se disent prêts à appliquer un barème prévu depuis 1990, en vertu duquel l'ensemble des interprètes d'un même film touchent 2 % des revenus, une fois l'oeuvre cinématographique devenue rentable. Insuffisant aux yeux des principaux intéressés. "Cet accord n'est pas applicable aux films amortis depuis des décennies, rétorque Isabelle Feldman, directrice juridique à l'Adami. Les producteurs ont tout intérêt à s'en prévaloir car ils n'ont déclaré que 160 films amortis depuis 1990 sur un total de 3 000 réalisés. Ils se gardent bien de faire référence à d'autres accords collectifs plus récents et plus rémunérateurs." Ainsi, les interprètes brandissent, eux, l'exemple de l'Institut national de l'audiovisuel, qui leur reverse 10 % du chiffre d'affaires engrangé sur ses ventes de DVD ou encore d'extraits retransmis à la télévision.
Dans cette affaire de gros sous, déterminante pour les reversements futurs sur la vidéo à la demande, les négociations promettent d'être longues. Une chose est sûre. Le temps est venu de régler la note. Comme le répétait Blaze dans La Folie des grandeurs, "il est l'or. L'or de se réveiller".
merci à Jérome de Forgotten Silver pour le lien !
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/vhs-dvd-blu-ray-les-acteurs-reclament-leurs-parts_929400.html