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mercredi 17 mars 2010

LA TELE REND CON


La télé rend sadique ?

Zone extrême, émission polémique

Par Chloé Leprince | Rue89 | 16/03/2010

France 2 diffuse ce mercredi soir une vraie-fausse émission sadique. Le programme s'appelle « Zone extrême » et louvoie entre téléréalité et document militant. Christophe Nick, le réalisateur, affirme que son but était de dénoncer le pouvoir avilissant de la télévision sur nos esprits. Pour ce faire, il a repris à son compte l'expérience de Stanley Milgram, psychologue à l'université américaine Yale.


En voyant la bande annonce de « Zone extrême » et le reportage au journal de 20H hier soir , j'ai tout de suite pensé à deux films français :

I comme ICARE d’Henri Verneuil


et le magnifique film d’Yves BOISSET de 1983 avec Gérard Lanvin : Le prix du danger


L'histoire: Le Prix du Danger est un jeu télévisé à succès présenté par Frédéric Mallaire (Michel Piccoli), où un candidat, pour gagner, doit échapper à des tueurs avant de rejoindre une cachette secrète. François Jacquemart (Gérard Lanvin), un chômeur, se voit sélectionné pour participer au jeu. Mais très vite, il s'aperçoit que les dés sont truqués : les gens qui lui apportent de l'aide ne sont autres que des employés de la chaîne... Afin d'échapper à la fin atroce qui lui est réservée, François se rebelle et se transforme lui même en tueur. Il n'a qu'un but en tête : révéler la supercherie en direct...


LE PRIX DU DANGER


Dans les années 50, Milgram avait procédé à une expérience aujourd'hui bien connue : dans un laboratoire, des blouses blanches invitaient des quidams, choisis au hasard, à envoyer des décharges électriques à un cobaye humain (complice de l'expérience) : ils s'exécutaient docilement.

Le but de l'opération étant de démontrer la docilité extrême de l'individu. Lequel ne rechigne pas, sous la force de l'injonction, à s'adonner à une violence extrême. Une nouvelle forme de banalité du mal, en somme, comme le montre la bande-annonce de l'émission (Voir la vidéo)

Christophe Nick a marché dans les traces de Milgram. Il a recruté, via un cabinet marketing, un échantillon représentatif de la société pour constituer son panel de « questionneurs » censés passer un cobaye au grill de tests de mémoire ; il a embauché un comédien à même de singer douleurs atroces et silence inquiétant sous le coup des décharges électriques.

L'intérêt pédagogique de l'opération n'est pas négligeable. Et même les chercheurs les plus sceptiques jugent qu'il s'agit d'une « adaptation convenable » de Milgram.

Les conclusions du livre de Nick sont discutables

Sauf que ses conclusions, médiatisées en amont dans l'ouvrage « L'Expérience extrême » que Nick cosigne avec Michel Eltchaninoff, sont controversées. En affirmant que les Français, parmi les plus réfractaires en 1958 du temps de Milgram, sont devenus autrement plus soumis, Nick s'avance.

De même lorsqu'il soutient que son expérience révèle que la télévision a pouvoir d'injonction hautement plus contraignant que celui des autorités scientifiques.

Laurent

Bègue, chercheur en psychologie sociale à l'université de Grenoble, a visionné le programme dans les studios de production en décembre

2009. A l'écouter, le programme relève de la caricature de Guy Debord et de sa « Société du spectacle », adaptée à l'ère de la téléréalité et pimenté d'un brin de sadisme.

Ce qui rendrait ambigüe la démonstration de Nick : pourfend-il ou pratique-t-il le dérapape télévisuel ? Bègue a listé quatre points qui lui posent problème.


Les chiffres n'indiquent pas davantage de soumission

Sur le papier, l'expérience renouvelée par Christophe Nick affiche des chiffres éloquents : 81% des questionneurs seraient prêts à électrocuter le cobaye, contre 60% chez Milgram dans son étude française la plus connue.

Laurent Bègue :

« Nick s'est focalisé sur un livre qui a plus de cinquante ans mais qui a été nourri, depuis, par nombre de travaux. Lesquels montrent parfois des taux de soumission au moins équivalents à ce qu'il obtient sur le plateau. »

L'émission ne compare pas ce qui est comparable

La démonstration portée par Nick est paradoxale : elle vise à démontrer, sur le petit écran et en prime time, que la télévision serait avilissante pour notre éthique et ruinerait notre capacité de discernement.

Mais comme le remarque Bègue, le public chauffé à bloc par le dispositif télé n'est pas comparable aux passants recrutés par Milgram :

« Les gens dans le public étaient simplement venus chercher cela. N'oublions pas qu'ils ont été recrutés pour participer à une émission de téléréalité. Ils s'adonnent simplement à ce pour quoi ils sont là. »


La docilité à faire du mal serait imprévisible

Dans leur ouvrage, Nick et Eltchaninoff relancent une vieille lune : on n'a « toujours pas trouvé le gène de l'obéissance et de la soumission ». Comprenez : n'importe qui serait capable de passer à l'acte, sans qu'aucun déterminisme psychologique ou social ne vienne interférer.

Bègue, lui, leur oppose d'autres études sur l'autorité, qui viennent nuancer cette vision fataliste. Il affirme ainsi que les êtres qui se révèlent « les plus aimables, les plus consciencieux », sont par exemple plus à même d'appuyer sur le bouton qui déclenchera la décharge électrique…

C'est aussi valable pour « les femmes orientées à droite et moins enclines au militantisme » -pas de chiffres significatifs de ce point de vue-là chez les hommes.

Laurent Bègue rappelle en outre que Milgram avait lui-même démontré une relation statistique avec ce qu'il appelait « l'autoritarisme de droite ». Et cela dès les années 60.


Des conditions d'expérience pas très éthiques

Huit mois après l'expérience, lorsque Laurent Bègue et son laboratoire ont recontacté les participants au prétexte d'un sondage sur leur rapport à l'obéissance, 90% ont accepté de passer vingt minutes au téléphone avec le chercheur. Moyennant 20 euros.

Aucun n'a mentionné de lui-même le fait d'avoir participé à l'émission quelque temps plus tôt. Quand Bègue les a interrogés sur l'expérience, très rares sont ceux qui ont émis regrets ou suspicion vis-à-vis du dispositif.


Sur la base de leurs récits et quoiqu'on pense du programme, impossible donc de conclure que les participants se seraient retrouvés traumatisés par une émission avilissante.

Une anecdote insuffisante cependant pour combler les failles éthiques de l'expérience. Pour Laurent Bègue, ce n'est pas la recherche sur l'extrême qui est condamnable mais le fait de ne pas avoir prévu de dispositif d'accompagnement digne de ce nom. Notamment l'assistance psychologique, immédiatement après le programme, et le suivi en aval des participants.

Le psychologue grenoblois parle carrément de « faute professionnelle » dans la mesure où l'expérience a bien déclenché ce que les chercheurs appellent une « altération de l'état émotionnel du sujet ».

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