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mardi 21 décembre 2010

COLUCHE PRESIDENT

Voici un très bon article sur Coluche, période 1980-1981 extrait du Point.fr du 09-10-2008.

COLUCHE PRESIDENT, L'HISTOIRE SECRETE
Par FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN


Le 30 octobre 1980, Coluche réunit la presse dans son théâtre du Gymnase. Oyez, oyez, braves gens : je suis candidat à l’élection présidentielle. Le bouffon s’invite, déboule, avec son nez rouge, dans la cour du roi. Une heure avant, chez lui, 11, rue Gazan, face au parc Montsouris, il vidait encore son distributeur de Coca, entouré de son assistant, le cinéaste Romain Goupil, et de Maurice Najman, journaliste à Libération (mort en 2000, NDLR). A eux trois, ils rédigent, au pied levé, le fameux appel « pour leur foutre au cul », mobilisant tous les exclus : « Les fainéants, les crasseux, les drogués, c’était moi , se souvient Goupil. Les pédés, les taulards, les gouines, les Arabes, c’était Coluche ; les anciens communistes, c’était Najman. »


Fin octobre 1980 : VGE est donné gagnant et Mitterrand ne s’est pas encore déclaré. La France et ses journalistes politiques s’ennuient. La blague, énorme, tombe au bon moment. En fait, elle a commencé en février 1980 à RMC. Coluche vient de se faire virer de la tranche 10-13 heures. Son passage aura duré une semaine : « On a toujours dit qu’il était parti pour irrévérence envers la famille princière, c’est faux, révèle Goupil, qui lui découpe la revue de presse. Il pilonnait sur l’affaire des diamants. Or le directeur de RMC était l’ancien porte-parole de VGE. » Pour la seconde fois en six mois, Coluche se fait censurer.


Le 24 juin 1979, il a dit adieu à son émission d’Europe 1 pour une vanne de trop : « Les veuves de guerre utilisent leurs pensions pour entretenir des gigolos. » Mais Coluche ne respecte pas grand-monde : « C’était l’esprit 68, le refus de tout establishment. Pour lui, la Résistance, c’était une histoire de vieux cons. Il aurait pu faire des blagues sur le 11 Septembre », lâche le journaliste Pierre Bénichou, qui fut son ami. Renvoyé avec lui de RMC, Goupil, qui a fait la campagne de Krivine en 1974, propose à Coluche de se présenter à l’élection : « Là, on ne pouvait plus l’empêcher de parler. » Coluche en rigole d’abord- « tu déconnes »-, puis accepte. Mais Paul Lederman, son imprésario, coince. Son poulain loin du music-hall ? « Vous n’y comptez pas. » Mais, dans l’entourage de Coluche, on est séduit : Martin Lamotte, Renaud, Véronique, la femme de Coluche, poussent à la roue ; à l’été, Lederman donne son feu vert au canular. Mais pour Jean-Michel Vaguelsy, premier lieutenant de Coluche, qui lui avait demandé d’apprendre la Constitution, l’enjeu est sérieux : « Il donnait la parole aux minorités. Aux législatives de 1978, la gauche a perdu pour 0,5 %. » Farce ou vrai coup politique ? Le malentendu s’installe.


De 10 à 20 % des voix.
Rue Gazan, les visages changent. Jusque-là, le n°11 était le port d’attache des copains du Café de la gare, Renaud, Dewaere, Romain Bouteille, Lanvin, et du Splendid, avec en tête Lhermitte et Lamotte. Tous ses copains dont il a fait tirer les portraits au studio Harcourt pour les accrocher à ses murs. Rue Gazan, ils ont leur rond de serviette, autour de Coluche, qui n’est alors que le président de ses potes. Il y a aussi Aldo Martinez, l’ex-bassiste des Chaussettes noires, le « chuteur », fournisseur en bons mots : « "Crache", lui disait Coluche, se souvient Vaguelsy, " dans le tas, il y en aura de bonnes." » Coluche brandit son Dictaphone : « "Qu’est-ce que t’en as à foutre ?", il me disait ; "tu t’en sers pas, c’est le premier à la Sacem qui a gagné" », confirme Bénichou, qui allait rue Gazan comme on va au bistrot.


Il y a aussi Bouboule, le pote des années d’enfance de la Solo, la cité de Montrouge, située au 1, impasse de la Solidarité. Mais, rue Gazan, la solidarité n’est pas une impasse. Chacun a droit à sa paire de bottes, souvent trop petites, confectionnées par le clown. « Chacun avait sa moto ou sa voiture offertes par Coluche, se souvient Bénichou. Un jour, il m’a prêté une Rolls, il était étonné que je la lui rende. Il s’est mis à gueuler quand les gars ont réclamé des camping-cars. » Herbe, filles, la maison fait crédit. On y trouve aussi piscine, table de ping-pong, juke-box Wurlitzer, studio d’enregistrement, machine à fabriquer de la glace pilée. « Tout cela faisait rêver Reiser, qui était un enfant de pauvres », se souvient Michèle Reiser, sa veuve. Car il y a aussi le groupe de Charlie Hebdo -Choron, Cavanna, Gébé, l’ami Reiser-, promu aussitôt « organe officiel » de la campagne coluchienne. « Personne ne savait si c’était du lard ou du cochon, affirme Cavanna, lui le premier, il ne savait pas où il allait. » Rue Gazan, la politique occupe soudain le centre des débats : « Les copains de la première heure, des artistes, s’éloignent par instinct », résume Goupil. Lanvin se souvient qu’il a pris ses distances. A la maison arrivent des sacs postaux avec des milliers de lettres. Laurence, dite « Lolo », qui fait office aussi de « rouleuse de pétards », s’occupe du tri avec Vaguelsy : « Des lettres d’angoisse, de misère. La blague cessait d’en être une. » Des centaines de comités de soutien se forment. Et surtout, les premiers sondages donnent de 10 à 20 % à Coluche. « Il n’en revenait pas », se souvient Cavanna. Le 17 novembre, alors que Mitterrand vient de se porter candidat, Le Nouvel Obs fait sa une sur Coluche. « Mitterrand était furibard », révèle Bénichou, alors rédacteur en chef de L’Obs , qui va voir, rue de Bièvre, le candidat socialiste. « "Toute candidature au premier tour, me dit-il, est un coup de poignard. Il n’y a pas de report au second tour, il n’y a qu’une dynamique du premier tour." »
PPDA est prié de ne pas parler de Coluche.


Mais le Tout-Paris a commencé à défiler. Brice Lalonde, pour les écolos : « Il m’a dit : "quand les arbres voteront, vous serez élu". » Les intellos, avec à leur tête Félix Guattari, François Châtelet, Pierre Bourdieu, qui, bizarrement, encensent le clown et lui parlent de l’article 49.3. Il y a aussi Gérard Nicoud, patron des petits commerçants, marqué nettement à droite. « Lederman se méfiait de nous, les gauchistes, explique Goupil, et rééquilibrait à droite, pour ne froisser aucun spectateur. » Jean-Pierre Soisson, via Dominique Lavanant, tâte le terrain. Vaguelsy va rassurer le PC. Au PS, le contact passe mal : Collé et Glavany, via Gébé, sont renvoyés par Coluche, qui tape sur les socialistes : « Rose promise, chomdu. » Soudain mondaine, la rue Gazan devient l’endroit où il faut être : Renaud, Lanvin ont été remplacés par Belmondo, Jean-Loup Dabadie, Michèle Morgan : « Pour elle, il avait fait livrer un monceau de fleurs, il était très midinette », remarque Vaguelsy.


La campagne prend un autre tour, le 25 novembre, quand on retrouve le cadavre de René Gorlin, son régisseur. « Il commence à flipper », se souvient Bénichou. « Christian Bonnet, le ministre de l’Intérieur, met en place une cellule qui s’occupe de Coluche, l’Elysée envoie une circulaire aux maires pour les dissuader de donner leur signature, explique Antoine de Caunes, et un groupe autonome de la police lui envoie des menaces de mort. » Le 27 décembre, L’Express à son tour lui consacre sa une, mais il n’est plus le chéri des médias : « Jacques Derogy écrit un papier aux airs d’enquête de police », résume de Caunes. « Peu avant sa mort, il exprimera des regrets », précise Vaguelsy. Mais entre-temps, le 5 décembre, Coluche a dîné avec Jacques Attali, mandaté par Mitterrand, qui brandit la menace des chars russes. « Il était très content de lui, flatté d’être courtisé, se souvient Jean-Paul Enthoven, présent au dîner, il faisait claquer les bretelles de sa salopette. » Attali essaie, en douceur, de le persuader de se retirer pour ne pas gêner Mitterrand. Il reviendra, tous les dix jours, effectuer un travail de sape. « En mars, quand on n’avait pas les signatures, Coluche s’est énervé contre Attali : "Tu m’as pris pour un con !" raconte Vaguelsy. Dans la voiture, Coluche me dit : "On fout la merde ou on accepte ?" » Coluche accepte. Mais le 16 mars, furieux qu’on ne l’invite plus sur aucun média-PPDA lui avoue qu’on l’empêche de parler de lui-, il entame une grève de la faim, à peine annoncée. De toute façon, elle est fausse.


Fin avril, il se déclare pour Mitterrand. Le 10 mai au soir, il se fera casser la gueule, près des Halles, par des membres d’un de ses comités de soutien, furieux de s’être fait avoir. Mais pendant trois mois, Coluche y aura cru. « Il s’est pris pour Zorro, selon Goupil, il est parti en vrille. » « Parfois, il me disait : "Tu crois que je suis mégalo ?" » se souvient Vaguelsy. C’est l’époque où sa femme le quitte : « Il savait qu’il était insupportable, cela ne l’empêchait pas d’être malheureux », analyse Bénichou. La campagne laisse des traces : il tombe dans l’héroïne. La rue Gazan devient ce que Desproges, dans une des « Chroniques de la haine ordinaire », baptise la « cour de Rigolo XIV » : « Quatre-vingts parasites nocturnes abonnés quotidiens de sa soupe populaire. J’ai pris congé pour aller vomir plus loin. » Mais l’exercice aura été profitable : il a sans doute aidé Mitterrand à gagner, qu’il rencontrera chez Attali. Il a aussi semé les germes d’une société civile. Sans cette campagne, pas de Restos du coeur. « C’est la vengeance qui l’anime », affirme Cavanna. « D’ailleurs, quand il a eu l’idée, ajoute Vaguelsy, il m’a dit : « "Là, je me présente à rien, mais tu vas voir !" »


source : LE POINT
http://www.lepoint.fr/archives/article.php/281220

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