les éditions Privé publient un livre qui revient sur la thèse officielle de
l’accident. Ce serait un assassinat, mais on n’est pas sûr, commandité on ne
sait pas par qui, et pour des raisons inconnues de tous. Ou comment rapprocher
Grasse (où il se rendait) de Dallas.
Souvenez-vous, il y a vingt ans, Michel Denisot, Philippe Gildas et sa femme
Maryse sont sur un plateau de télévision. Coluche, ami des trois, vient de
mourir. C’est la seule fois que l’on verra Denisot pleurer en direct. Maryse à
son tour essuiera une larme, seul Gildas, imperturbables grandes oreilles,
restera inflexible : « Si on pleure tous, on n’y arrivera pas », déclare-t-il,
inébranlable.
Coluche, raconteur de blagues à salopette, agitateur comique numéro un d’une
époque qui n’en manquait pourtant pas, et de hautes volées : du Le Luron par-ci,
du Desproges par-là, j’en passe et des bandes sorties tout droit du
café-théâtre, qui allaient quelque temps après bronzer au soleil du succès.
Coluche, acteur césarisé pour un film surestimé, Tchao Pantin, où il
interprétait c’est vrai plutôt bien le rôle d’un pompiste humaniste au possible,
marqué mais pas désespéré, tentant de faire marcher droit un Anconina chien fou.
Coluche osait beaucoup, décapait pas mal, n’hésitait pas sur les gros mots, et
il avait bien raison. Il fut aussi de l’éclosion de Canal, celui d’André
Rousselet, une chaîne qui à ses débuts présentait un taux d’insolence et de
liberté crade qu’on n’a jamais retrouvé à la télévision depuis, malgré la
multiplication des chaînes, mais de chaînes enchaînées, photocopiées, s’imitant
les unes les autres sans oser plus rien, sans plus faire preuve d’audace. Canal
a disparu depuis la fin de "Nulle part ailleurs", et même sur le câble ou le
satellite, il est difficile de trouver quelque trace de différence que ce soit.
Tout est pareil.
Il y a vingt ans, quand Coluche est mort, le 19 juin 1986 sur sa moto, quand
la nouvelle a fait le tour de RMC et de toutes les radios, quand le pays a
compris qu’on allait un peu moins rigoler désormais, ce fut un choc. L’homme
était aimé, apprécié, chez les prolos comme chez les nouveaux riches, chez les
intellectuels (enfin certains) comme chez les bas du front. Il avait créé les
Restos du cœur, avec cette idée de redistribuer notre trop-plein (de bouffe,
d’amour) à ceux qui manquent de tout. Un succès phénoménal. La France comptait
déjà, à l’époque, une belle armée de pauvres, de démunis, de crève-la-faim.
Depuis, ça ne s’est pas arrangé.
Et puis, Coluche a eu l’idée saugrenue de se présenter à l’élection
présidentielle. Il serait le candidat BLEU BLANC MERDE, pour reprendre
l’excellente une de Hara Kiri à l’époque, qui le portraitura
assis sur le trône, le slip aux chevilles, en habit de président, ou presque. On
est en octobre 1980. Coluche se présente comme le candidat des minorités : "Je
veux être le candidat des minorités. Et les minorités ajoutées les unes aux
autres, ça fait quoi ? Je vous le donne en mille Emile ! Ca fait la majorité !"
Il fonde des comités de soutien hilarants, comme le comité Monique, « deux qui
la tiennent, trois qui la niquent. » Et il grimpe dans les sondages. Vite. Haut.
Certains politiques grincent des dents, Coluche se voit refuser certains
plateaux télé : les émissions politiques le rejettent parce qu’il est clown, les
émissions de variétés parce qu’il est candidat. La route (si j’ose dire) est
barrée pour le comique qui sera obligé de jeter l’éponge le 7 avril 1981.
Cet épisode politique de la vie de Coluche est capital : c’est ce qui fera
naître quelques doutes, d’entrée de jeu et donc plus tard, sur la nature
accidentelle de sa mort. Bien avant l’enquête, qui aujourd’hui paraît aux
éditions Privé, des rumeurs ont circulé, selon lesquelles Coluche, devenu
encombrant pour pas mal de politiciens, aurait été plus ou moins « accidenté »
par le « pouvoir ». Mais quel pouvoir ?
Comme toujours dans ces fumeuses théories qui tendent à nous faire croire que
décidément, on nous cache beaucoup de choses, ceux qui agitent le doute n’ont
aucune certitude. Ceux qui hurlent au mensonge n’ont pas le début d’un
demi-quart de preuve pour étayer leurs accusations. Et l’on bascule, tout
naturellement, dans le domaine du phantasme. Phantasme de « politiciens » aux
ordres de quelques « officines » qui « tireraient les ficelles » et
« manipuleraient » la vérité, pour qu’elle apparaisse plus lisse, plus digeste,
plus rassurante. Phantasme d’un « pouvoir » global qui serait une sorte de grand
metteur en scène du monde moderne, et de ses guerres, et des raisons de ses
guerres, et des enjeux cachés, que personne ne connaît mais qui existent, sans
doute.
Le complot vit sa plus belle ère depuis le 11 septembre 2001. La
pulvérisation des tours jumelles de Manhattan a ouvert la boîte de Pandore.
Toutes sortes d’énergumènes sont alors soudain apparus, qu’on avait cru bien à
l’abri derrière des murs épais, et qui se sont mis à avoir des idées, à savoir
des choses, à imaginer un « ailleurs » où se situerait la vérité, la vraie. On
nous a fait le coup de l’avion qui n’avait jamais frappé le Pentagone, le coup
des Tours jumelles effondrées certes, mais pas à cause de l’impact des avions,
non, et d’ailleurs ces avions étaient-ils vraiment des avions de ligne ? On nous
a fait le coup, avant ce cirque 9/11, de la princesse Lady Di, certainement pas
morte d’un accident de la route, certainement assassinée par la Reine, peut-être
ou le Prince Charles, ou le duc de Guise. Dans toutes ces agitations-là, c’est
fou le nombre de gens qui sont prêts à « croire » : des chemises bleues avec des
longs cheveux, comme des chemises noires aux cheveux très courts, tous
« persuadés » qu’effectivement, c’est « bizarre ».
C’est un peu le Da Vinci Code tous les jours. Le best-seller de Dan Brown est
à l’image de ces temps où l’on réfléchit beaucoup et de travers : un mélange
habile de mysticisme, d’ésotérisme, de mystères d’opérette, de passages secrets,
de textes obscurs, de combinaisons multiples qui n’ont pour but que d’amener le
lecteur à comprendre qu’il y a du mensonge, et du gros, dans l’air. Que si tout
est révélé, tout, jusqu’à la chrétienté, tremblera sur ses fondations. De
l’attrape-gogos. Et ça marche.
Alors, Coluche non accidenté, disons presque « volontairement » percuté par
un camion « téléguidé », ou du moins « commandité », pourquoi pas, au point où
on en est ? Pourquoi pas ?
A l’origine de Coluche, l’accident, il y a l’enquête d’un
journaliste, Jean Depussé, mort en avril dernier, enquête reprise par un de ses
confrères, Antoine Casubolo. Depussé a retrouvé les amis de Coluche présents sur
les lieux du drame. Et vingt ans après, alors qu’ils s’étaient jusqu’ici plutôt
faits à l’idée que c’était un accident bête, selon leurs propres dires, ils se
sont mis à douter. Vingt ans après. Vingt ans de certitude, et puis d’un coup,
la révélation. Aujourd’hui, Didier Lavergne, un de ces témoins, présents sur la
route avec Coluche le jour de sa mort, se souvient que celui-ci ne roulait pas
vite, 60 kilomètres heures au maximum, que le camion n’était pas en travers de
la route, qu’ils allaient le croiser tranquillement, quand d’un seul coup
celui-ci a brusquement changé de direction : « On roulait calme, en ligne
droite, on a vu le camion, il n’était pas en travers de la route, il était de
son côté et, au moment où Michel est arrivé à sa hauteur, il a brusquement
tourné à gauche. Une manoeuvre insensée. » Coluche percute le camion, tête la
première, sans casque (« A cette époque, sur la Côte, les flics nous faisaient
pas trop chier avec ça ») et meurt quelques instants plus tard.
Alors, pourquoi ce camion a-t-il soudain viré de bord ? L’attitude du
chauffeur, juste après l’accident, alors que tous attendent les secours,
surprendra Lavergne :
« La première chose qui m’a toujours étonné, c’est l’attitude du chauffeur du
camion juste après le choc avec Coluche. Il avait un détachement incroyable
pendant les minutes où on a attendu les secours, lui, Ludovic Paris et moi. Il
ne s’est pas approché de Coluche une seule fois, il ne nous a pas parlé, il est
resté à distance, à faire les cent pas devant son camion, sans même couper le
moteur. Comme s’il ne se sentait pas concerné. »
Un chauffeur peu concerné qui commet une manœuvre insensée, voilà pour le
bizarre.
Les mobiles maintenant. Là, c’est le flou. Coluche préparait un spectacle
fumeux, paraît-il. Il aurait été prêt à se représenter pour 1988. Il aurait reçu
une balle accompagnée d’une menace de mort (la prochaine sera pour toi) quelques
jours avant l’accident. C’est à peu près tout. C’est maigre. Ca n’explique pas
qu’ « on » ait voulu dans quelque haut lieu que ce soit se débarrasser du
candidat BLEU BLANC MERDE. C’est léger.
Mais le complot se nourrit d’à peu près. D’hypothèses. De croyances. Déjà sur
les forums du Net, certains parlent de meurtre, d’assassinat, ils se disent
convaincus, sûrs, persuadés. Ils « le savaient bien ». Evidemment. On a tué
Coluche, Bérégovoy ne s’est pas suicidé, et JFK a été abattu par la CIA avec
l’aide la mafia de la Côte Est.
Légendes urbaines, mythes modernes. L’histoire n’est pas un ramassis de
vérités, ce n’est pas non plus un tissu de mensonges.
Certains sont prêts à gober n’importe quelle ânerie pour satisfaire leur
appétit de sensationnel, d’inédit ou de fantastique. Ils se défendent en
prétendant qu’ils « cherchent à comprendre ». Qu’ils ne se contentent pas
d’utiliser leur « temps de cerveau disponibles ». Qu’ils pensent par eux-mêmes.
Ils s’illusionnent : la vérité qu’ils cherchent n’existe pas, pas plus que le
mensonge qu’ils prétendent pointer.
Une chose est sûre : vingt ans après la mort du comique Coluche, on se marre
moins. Comme si, de toutes ses blagues, il avait emporté la chute.
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/people/article/coluche-putain-de-complot-s-10539
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