Extrait de l'interview piochée sur leprogres.fr/
Propos recueillis par David S. Tran
Propos recueillis par David S. Tran
Vous incarnez un peintre dans « L’Artiste et son modèle » de Fernando Trueba. Pour vous, qu’est-ce qu’un artiste ?
Un artiste… Hélas, je n’en serai pas un, je vais mourir avant, c’est trop bête, c’est trop de boulot. A une époque, on pensait que les artistes sauraient rassembler toutes les classes sociales -et Dieu sait qu’il y en a qui souffrent- et les inclure dans leurs joies artistiques pour que nous puissions tous vivre ensemble. On pensait que l’artiste participerait à la paix. Je fais partie de cette génération qui a cru, à l’arrivée de la télévision, qu’il n’y aurait plus de guerres parce que les individus de la planète se connaîtraient et n’auraient plus envie d’être belliqueux ni de foutre une bombe sur la gueule de l’autre. On en est loin. D’autant qu’au lieu de financer les bons films, les technocrates de la télé ne jurent que par Mimie Mathy, notre grande artiste populaire. Vous avez déjà regardé « Joséphine, ange gardien » ? Je m’en suis tapé un en entier. C’est pas possible, elle assassine nos contemporains.
Mais vous ne vous sentez pas artiste ?
J’ai vécu de trop grands moments de honte quand je ne correspondais pas aux rêves de l’adolescent que j’étais. Au théâtre, je n’ai joué que des pièces désirées. Mais au cinéma, surtout en Italie, j’en ai collectionné des films lamentables, qui me désespéraient mais que j’étais obligé de faire pour des questions de vie. À l’heure des vieilles énergies, c’est-à-dire du bilan, je ne veux pas que cet adolescent me regarde avec mépris. Alors je m’abstiens autant que possible de replonger dans des scénarii injurieux.
Ca fait mal, un nanar ?
J’appelle ça mes blessures de guerre. Le soir, on est malheureux dans sa chambre d’hôtel et on n’ose pas se regarder dans la glace. Il y a eu des époques où, vivant une existence tourmentée, sans parler de ma passion coûteuse pour les équidés, et n’ayant jamais su dire non à une femme qui voulait un enfant de moi, j’ai sans cesse été entraîné dans des désaveux. Un jour, je reçois un scénario de merde. Le lendemain, après avoir vu mon banquier, ce scénario ne me semblait plus si catastrophique.
Certains nanars, comme « Angélique » sont devenus cultes.
J’ai tourné ça avec une honte terrible. Le soir, je jouais Harold Pinter face à Delphine Seyrig sur les planches. Et mes journées, je les passais en compagnie de Michèle Mercier qui était, tout de même, au bord du chaînon manquant.
Elle fait partie de vos très belles partenaires…
Pour tout vous dire, je me trimbalais une sérieuse réputation d’obsédé sexuel. Alors je me caparaçonnais le pénis pour les scènes de lit. Bien que plus très en forme, j’ai, à nouveau eu recours à ce caparaçon lorsque j’ai tourné « Désaccord parfait » (2006) avec la sublime Charlotte Rampling. Au bout d’un moment, elle s’est aperçue de quelque chose. Au lieu de me retourner une gifle, elle m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « Ah, enfin ! ». Elle est formidable.
À l’inverse des nanars, pensez-vous avoir joué dans des chefs-d’œuvre ?
Je crois que les comédies d’Yves Robert (« Un éléphant, ça trompe énormément » 1976, « Nous irons tous au paradis » 1977) sont, dans le genre, des chefs-d'œuvre. C’était aussi extraordinairement courageux, et moderne, de parler d’un copain homosexuel. Notre pote est de la jaquette, quelle affaire à l’époque ! On s’interroge pendant trois jours, et le quatrième, il redevient le copain qu’il a toujours été. On était formidablement en avance. J’admire aussi « Le Crabe-tambour » de Pierre Schoendoerffer, « Tandem » et « Le Mari de la coiffeuse » de Patrice Leconte, et « Un étrange voyage « d’Alain Cavalier ». J’ajouterais « L’Artiste et son modèle » à cette liste.
Jean Rochefort, c’est aussi une voix et… une moustache. Pourquoi cet accessoire ?
Je ne l’ai rasée qu’une fois, pour « Ridicule » de Patrice Leconte. Sans moustache, j’ai l’air de ce que je suis, une vraie saloperie, un faux-derch sans lèvres. Je n’inspire pas confiance. Je n’ai pas eu de vie sexuelle tant que je ne l’avais pas laissé pousser : c’était pour « Le Misanthrope », au tout début de la télévision couleur.
Vous parliez de votre passion pour les chevaux. Ne pas avoir pu jouer le « Don Quichotte » de Terry Gilliam (2000), reste-t-il un de vos plus grands regrets ?
Non. Je ne me serais pas entendu avec Terry Gilliam. Je lui ai écrit une lettre en le priant de « Bergmaniser » son propos, il ne m’a jamais répondu. Il avait interdit qu’on nourrisse le cheval que j’avais durant quarante jours, afin qu’il ressemble au Rocinante de Don Quichotte. Le pire, c’est que j’ai accepté. Le cheval est mort le surlendemain de mon arrêt. J’étais en allégeance, donc j’étais foutu. Mon corps a eu raison de me dire non.
Propos recueillis par David S. Tran
http://www.leprogres.fr/france-monde/2013/03/09/je-ne-serai-jamais-un-grand-artiste-je-vais-helas-mourir-avant
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