Un de mes acteurs Français préférés, voici une magnifique interview d' Yvan ATTAL, réalisé par le lien est ici next.liberation.fr ,
Au commencement, donc…
J’aimais bien l’école, j’étais
même assez bon élève. Mais en seconde j’ai lâché prise. Seconde C, première D,
acteur. L’échec, l’idée même d’échouer, je n’imaginais pas ce que c’était… Quand
je vois mon fils de 14 ans, je me demande comment il se projette dans l’avenir.
Moi je sortais d’une adolescence magnifique et j’ai l’impression que tout était
moins dur. L’angoisse est apparue lors des leçons de théâtre au cours Florent,
j’avais dans les 18 ans. Je me disais : « Oui mais après ? » Et après
j’ai eu une chance inouïe. Un monde sans pitié, le César du meilleur
espoir, boum.
D’où veniez-vous ?
Je suis né à Tel Aviv et j’ai grandi à
Créteil. Mes parents ont connu deux exodes. Originaires d’Algérie, ils ont
rejoint Israël. Mon père était horloger, et sioniste, notamment parce qu’il
avait subi pas mal de racisme. Puis ils sont arrivés en France. Israël reste un
pays qui compte pour moi car il est dans cette situation-là, compliquée, mais si
demain tout s’arrangeait je n’en aurais plus rien à foutre... Je n’ai pas
d’autre pays que la France, je ne suis pas religieux, le jour de Shabbat on
mange un couscous et voilà. Je me définirais comme un juif arabe. À Créteil, on
avait des voisins musulmans maghrébins et la même odeur flottait dans nos
cuisines. Je suis un enfant unique mais dans la cité, j’ai grandi entouré de
cousins, de copains. La vie était tellement gaie…
Je regardais les films de Scorsese ou Coppola, j’admirais Pacino et son côté
petit brun que j’avais aussi, que j’entretenais. Et j’étais un vrai
embobineur [il rit]. Quand je vois mes enfants qui vivent dans le
septième arrondissement, à Paris, je me dis que c’était bien plus marrant, ces
HLM. Mais je ne renie pas mon embourgeoisement. Il était hors de question pour
moi de rester à Créteil.
Après Un monde sans pitié, comment vivez-vous le
succès?
On m’a proposé des choses que j’ai refusées, et qui ont
marché. Les premiers rôles te poursuivant toujours un peu, j’ai joué au mec
décontracté, je me suis réfugié derrière un personnage pour justifier d’être un
dilettante, alors que je ne suis pas un dilettante. Ou alors plus du tout.
[Ils sont rares ces mecs à la coule transformés en quadragénaires un peu
flippants, parfois salauds, taciturnes, imposants même dans le silence –
Rapt de Lucas Belvaux –, néanmoins séducteurs déchirés quand le rôle
l’exige – les Regrets de Cédric Kahn. Ainsi suit-on l’avancée
en noirceur d’Yvan Attal, d’Un monde sans pitié jusqu’à Rapt,
de l’insousciance légère des eighties à la relecture ultra-moderne, glaçante et
sans pitié, tiens donc, d’un drame terroristo-financier de la fin des années 70
– l’enlèvement du baron Empain.
Un monde sans pitié lui valut le César du meilleur espoir en 1990
etRapt, dix-neuf ans plus tard, des applaudissements partout,
ne serait-ce que pour avoir perdu vingt kilos en deux mois, ce qui en France
épate toujours (l’effet Actor’s studio). Au compteur Attal 2011, cela donne :
une bonne quarantaine de films en tant qu’acteur et deux comme réalisateur, dont
le faussement macho et bien balancé Ma femme est une actrice. Car Yvan
Attal est aussi le compagnon de Charlotte Gainsbourg. Ils ont deux enfants (un
adolescent, Ben, une petite fille, Alice), bientôt trois, avec ce bébé à
venir.]
L’ambiance du cinéma français ?
On est loin des
affinités créatives à la Cassavetes, de cette magie-là. Quelque chose nous en
empêche, chacun écrit dans son coin. Ce n’est pas pour autant un milieu très
crade. Disons qu’il n’y a pas énormément de rivalités – ce qu’on croit au début,
quand on est jeune et en colère –, mais guère de partage non plus. Avec Eric
Rochant, Hippolyte Girardot et Mireille Perrier par exemple (le réalisateur et
les acteurs d’Un monde sans pitié), les liens se font et se défont au
fil des années.
Pour vous : être acteur ?
J’avais tourné avec Jacques
Doillon il y a fort longtemps (Amoureuse, 1992), et je n’ai pas
supporté. Pourquoi fallait-il enchaîner cinquante prises sans autre raison que :
Dieu est sur le plateau, on lui obéit sans comprendre pourquoi… Même s’il a fait
des films que j’aime, je n’ai pas changé d’avis quant à ce genre de méthode.
Aujourd’hui, je ne tiendrais pas deux heures d’un régime pareil… Être acteur,
c’est magnifique si c’est vivant. Et cela exige aussi de l’impudeur. On a envie
de pouvoir s’ouvrir vraiment. Sauf qu’on a intérêt à savoir jusqu’où. Jouer dans
Antichrist de Lars von Trier, comme l’a fait Charlotte, il fallait
oser.
Moi je me suis souvent protégé, parfois un peu trop. J’en avais besoin pour
ne pas péter les plombs. Je ne pense pas qu’on puisse faire ce métier sans
souffrir. Au moment de Rapt, j’étais enfin content de mon travail. Mais
la satisfaction ne dure pas. Ce métier engendre forcément de la frustration : il
marche à l’affect, la reconnaissance, le succès. La seule chose qui permet d’en
guérir, c’est d’arrêter. Et encore.
Mais vous continuez ?
Je continue de courir après le
chef-d’œuvre [il sourit]. Mais y a-t-il encore de si grands films ?
Oui, sauf que je ne suis pas dedans... Y croire encore, cela nécessite deux
choses : ne pas être devenu cynique, ne pas être devenu l’acteur qu’on
s’imaginait à la fin de l’adolescence, avec l’arrogance de cet âge-là. Au bout
du compte, on se demande sans cesse – enfin, moi en tout cas : «As-tu
vraiment du talent ?» Je sais que je ne suis pas Pacino, De Niro, mais je
me dis parfois que si j’avais été filmé par Scorsese, Coppola, peut-être
serais-je un grand acteur.
Al Pacino, justement : l’avez-vous rencontré ?
Deux
fois. La première avec Claude Berri, on était à New York et il me dit :
«Viens, j’ai rendez-vous avec Pacino qui veut faire un remake de Tchao
Pantin.» Je n’ai pas dit un mot pendant le rendez-vous, et le film ne
s’est pas fait. La deuxième fois c’était l’an dernier, toujours à New York. J’y
étais justement pour le voir jouer au théâtre dans le Marchand de Venise, quand
je croise un copain acteur qui m’invite à un dîner donné en l’honneur de Pacino…
Quand j’arrive, le copain me présente comme «the french Al Pacino», ce
qui m’a bien fichu la honte. Mais Pacino a été adorable, très humble.
On a parlé cinéma, de son film sur Oscar Wilde difficile à distribuer
[présenté à la Mostra de Venise ces jours-ci], de sa combativité
intacte. C’était émouvant, j’étais redevenu le gamin de 13 ans qui regardait ses
films en rêvant d’être acteur... Cela dit, en France, la comparaison entre nous
finit par m’agacer. [Yvan Attal est aussi réalisateur. Il dit : «Faire
l’acteur est quelque chose d’agréable, mais la mise en scène… C’est de la drogue
dure.» Après avoir ré-inventé en deux volets sa propre histoire de couple,
les affres d’un mari jaloux et les vertiges/vestiges de l’amour, soit Ma
femme est une actrice puis Ils se marièrent et eurent beaucoup
d’enfants, le voilà qui vient de passer cinq ans à tenter de monter les
Sabines. Cette nouvelle de Marcel Aymé publiée en 1943 raconte l’histoire d’une
jeune femme de Montmartre dotée du don d’ubiquité, et qui se démultiplie dans
les bras d’hommes du monde entier. Mais ces cabrioles spacio-sexo-temporelles
coûtaient cher…]
Les Sabines vous tenaient à cœur ; pourquoi avoir abandonné
?
Parce que je n’ai pas pu réunir les 14 millions d’euros que le
film aurait nécessité. Parce qu’il n’y a pas de cinéma indépendant en France. Et
parce que le «cinéma d’auteur» se doit d’être «cheap». Or je voulais sortir des
petites comédies que j’avais réalisées jusque-là, et cette très belle histoire,
je le dis d’autant mieux qu’elle n’est pas de moi, aurait sûrement donné un film
assez poétique… Ou comment ce qui relève du fantasme – être partout à la fois –
s’avère aussi une malédiction, car cette fille, à force de coucher à l’infini,
finit par se perdre. Mais les gens des studios, qui chaque année se plaignent de
voir les mêmes films, n’ont pas beaucoup d’audace.
Vous n’étiez pourtant pas un débutant.
Non… Comme acteur,
j’ai fait un film à plus d’un millions d’entrées (Un monde sans pitié),
et comme metteur en scène, à 950 000 entrées (Ma femme est une
actrice). Voilà les faits. Pas mal, mais pas assez. D’autant que le côté
«cinéma d’auteur», si important en France avec des gens aussi différents que
Catherine Corsini, Lucas Belvaux, Cédric Kahn, effraye les producteurs, qui se
grattent la tête en regardant votre projet : «Est-ce qu’il n’irait pas nous
faire un film d’auteur ?»
Je comprends parfaitement qu’il s’agisse d’une industrie, sauf qu’on
s’acharne à mettre des fortunes dans des films ultra-formatés qui font des
flops, au moment même où Un prophète réalise 1,5 million d’entrées. Et
malgré tout : zéro évolution. Aujourd’hui encore, si vous proposez autre chose
qu’une comédie, inutile d’espérer un budget supérieur à 5 millions d’euros.
C’est dingue, non ?
Vous préparez un autre film, de commande cette fois-ci
?
UGC m’a proposé de tourner le remake de Humpday, une
comédie américaine de Lynn Shelton sortie en 2009. C’est l’histoire de deux
copains assez machos qui décident, un soir d’ivresse, de concourir à un festival
de porno amateur avec un court métrage où ils couchent ensemble. Comme je joue
aussi dedans, je vais me retrouver avec François Cluzet dans une chambre d’hôtel
où, pendant une éternité, on va essayer de faire des trucs au lit…
Il y aura également Charlotte, Asia Argento, JoeyStarr. Et même si le
scénario est prétexte aux blagues et aux quiproquos, ça ne sera pas qu’un film
drôle. D’abord parce que le sujet de l’identité sexuelle me titille : j’ai été
séduit par des hommes, jadis, sans n’avoir jamais franchi le pas, et je me
demande où est la frontière ; aussi parce qu’avec ce film, j’ai envie de
surprendre, de m’affranchir un peu de la comédie, mon terrain «naturel», et de
privilégier les plans longs, peu usités dans le registre comique où tout doit
aller vite. [Attal au lit avec un homme, on n’est qu’à moitié étonné.
Revient en mémoire la petite frappe brune qu’il était dans Aux yeux du
monde, en maillot de foot, fluet, nerveux, sexuel : un côté Après-midi de
chien, Pacino français jusqu’au bout des ongles.]
Là, vous êtes très occupé ; comment vit-on quand on ne tourne pas
?
C’est compliqué. D’un côté je ne supporte pas les minauderies des
acteurs et actrices qui sont très doués pour se montrer entre chaque film ; de
l’autre je sais qu’il y a des risques à se faire rare. Cette image qu’on
trimballe, qu’on doit gérer. Si tu refuses complètement ce jeu-là, on te repère
moins, donc tu tournes moins, donc la pression est plus grande quant au film
avec lequel tu «reviens». Avant, je vivais d’amour et d’eau fraîche. Là, il y a
moins d’eau fraîche…
Je vais avoir un troisième enfant. Je me pose des questions. Je vois un psy.
J’avais déjà consulté il y a longtemps, quand j’étais très hypocondriaque. On
rit facilement mais ça n’est pas drôle. Je m’endormais en prenant mon pouls, ce
genre de trucs… Mais ça s’était réglé très vite.
Être le gendre Gainsbourg ?
Je ne sais pas quoi te dire.
Oui c’est chiant les familles d’artistes, où le moindre de ses membres existe
médiatiquement. Et il n’y a que des femmes… Ah, Lulu aussi. Cela dit, quand je
me retrouve à manger chez ma belle-mère, c’est ma belle-mère, point
[silence]. Non, le plus dur est de vivre avec Charlotte Gainsbourg… C’est
de l’humour bien sûr ; enfin, pas totalement innocent [long silence].
Charlotte est proche de mes parents et il y a beaucoup de chaleur entre les
deux familles, mais ce sont quand même deux univers totalement différents. Quand
j’ai commencé à la fréquenter, mes parents ont mis des photos d’elle partout,
les miennes avaient disparu, j’étais devenu leur gendre et elle leur fille
[il sourit]. Et pourtant ils n’avaient jamais été fascinés par tout ça,
avec leurs deux exodes, leur côté bien droit.
Charlotte/Yvan : avez-vous trouvé un équilibre ? Non, il n’y
en a pas. Elle a un statut d’actrice, elle peut dire qu’elle a été fantastique
dans ce grand grand film qu’est Antichrist. Elle a eu des succès qui
nous ont forcément déséquilibrés. Moi, bon an mal an, je m’en sors. Si on a
trouvé une bonne mesure, c’est dans le fait de laisser travailler l’autre comme
il l’entendait. Je n’ai jamais été tenté de la garder à la maison, même si
aujourd’hui je pourrais y penser [il rit ; on doute que ce soit vraiment une
blague]. On n’a jamais été un couple d’acteurs, ce lien-là n’existe pas
entre nous.
L’amour ?
Plus ça avance, plus tu es inquiet. J’ai
compris que tout peut arriver du jour au lendemain, que tout est fragile. Quand
tu es avec quelqu’un depuis un mois, tu te sens invincible, l’histoire est
facile. Après vingt ans, tu as des enfants, une carrière, et puis, c’est
terrible à dire, tu vieillis… Et parfois des choses viennent pervertir ta
relation, ce qui peut te faire regarder en arrière, penser aux décisions prises,
en concevoir des regrets. Je ne sais pas… La vie avance vite, tu as envie de
comprendre après quoi tu cours, ce qui t’apaise, comment on peut se faire un peu
moins mal.
La session photo se déroule bien, et vite.A chaque pose, il demande :
«Pourquoi en prendre encore ?» C’est léger, ironique, à peine agaçant et
même bienveillant envers les assistants qu’il a condamnés au chômage technique
et qui s’amusent à voir évoluer de près ce type connu, qui semble tellement
normal. Quelques semaines après, on le rappelle pour son oreille cassée, à ce
point visible qu’on avait oublié de l’évoquer. Un reliquat de bagarre ? Il
répond au bout de plusieurs jours et autant de messages laissés, depuis la
Bretagne. Son père va mal. Sa fille est née, qui s’appelle Joe. Il reste sobre :
«Les enfants, c’est là, ça vit.»
On évoque le film qu’il a tourné au Havre avec Lucas Belvaux, à sortir en
février, un polar qui n’a pas l’air gai ; on parle de ses doublages de Tom
Cruise (il a été sa voix française), l’identification troublante qu’il
ressentait à force de re-re-voir chaque scène, notamment pour Eyes Wide
Shut, et la découverte d’un acteur «étonnement fin, qui fait des choses
très intéressantes». On en arrive à l’oreille. «Ah…» Il rit de son
rire mi-figue mi-raisin annonçant la distance nécessaire qu’il installe entre
lui et le monde – une distance raccourcie par un tutoiement quasi-systématique.
«Quand je suis en grande forme, je raconte n’importe quoi, des trucs
farfelus. Mais je donne de moins en moins dans le baratin... Peut-être le signe
d’une vitalité en baisse ? Bon, je vais te faire une révélation : je suis né
comme ça, voilà.» C’est aussi, notamment parce qu’on n’est pas sûr qu’elle
soit véridique, une drôle d’histoire.
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