Une passion qui l’a poussé jusqu’au record du monde de vitesse…
Le record moto, ça le fascinait, il en a eu l’idée à 15 ans ! Il en était très fier, il avait une grande admiration pour les champions de moto. Mais plus que tout, il aimait les choses a priori hors d’atteinte et se forçait à les atteindre.
L’exemple typique du défi, c’est ce kilomètre lancé en 1985. Ça a été difficile. Il était rondouillet à cette époque, il a fallu faire un réservoir à sa découpe. Un an avant, le moteur avait serré en pleine tentative, à plus de 260. Juste après le record, il m’expliquait à quel point c’était compliqué : « À un moment donné, tous les réflexes disparaissent, tu ne vois plus rien. Tu es sur un rail, impossible d’en bouger ».
Et une fois le record bouclé ?
Une fois le record décroché, il est passé à autre chose. Il était comme ça, toujours en mouvement. Il fonctionnait très vite, et dans des domaines très différents. Cette semaine-là est emblématique : le 25 septembre 1985, c’est le mariage avec Le Luron. Le lendemain, il lance les Restos sur Europe 1. Et le 29 septembre, c’est le record.
Le mariage, c’est un acte totalement gratuit. Michel savait que les jours de Le Luron étaient comptés. Ils avaient la volonté de faire un gros show médiatique avec du bonheur, pas avec du malheur. Michel était très hostile à l’idée de la mort. Ce qu’il a fait avec Thierry, c’est le plus joli coup de chapeau à l’irrévérence.
Comment se comportait-il sur la route ?
C’était un très bon conducteur, très sûr. Évidemment, il lui arrivait d’attaquer, surtout quand il voulait séduire sa belle ! Michel savait que les deux-roues, c’était fragile. Je le répète, c’était un conducteur très prudent.
D’ailleurs, il n’est pas mort dans un accident de moto. C’était un accident de camion, à 55 km/h. Qu’est-ce qu’il y a pu avoir comme conneries de dites et d’écrites là-dessus ! Je comprends leur impact : c’était un personnage très populaire, un champion de moto, il faisait partie de la légende. La légende, elle a les bras larges, elle écarte les portes et dit n’importe quoi.
Légendaire, Coluche l’a été pour tous les motards de sa génération. Même si son engagement dans la campagne de 81 en relayant les « sans voix » a pesé certainement plus lourd que son militantisme « par accident » pour la FFMC, ce soir-là, devant le Théâtre du Gymnase…
Michel n’avait pas l’esprit de corps. Il aimait les motos, mais ne gobait pas forcément tous les rassemblements de Bastille. Malgré tout, il est allé au Bol, a fait pas mal d’essais pour la presse moto. Il était toujours très conscient de ce qu’il pouvait représenter. Il était capable de jouer avec son image, de l’utiliser pour donner un coup de main. Le coup des photos avec les motards en colère, c’est un peu ça.
Sorti de là, lorsqu’il mettait son casque, ses gants, ses bottes, il restait lui-même. Et mes deux fils ont contracté le virus, ils sont d’ailleurs à la Mutuelle. Mais l’un d’eux arrête la moto, il s’est fait très peur.
Cette campagne de 81, qui est véritablement le sujet du film d’Antoine de Caunes, comment l’avez-vous vécue ? Une farce qui a mal tourné ?
Il s’est lancé là-dedans comme un clown, avec la bande de Hara-Kiri juste derrière. C’était une candidature de clown, il n’a jamais voulu être président. Mais il avait une haute idée de la démocratie. Il le disait lui-même, « une démocratie où l’on écoute que 50 % de ceux qui parlent, ça va plus ».
Il voulait l’ouvrir pour toutes les minorités qu’on n’entend jamais. Télé, radio, scène, il avait énormément de retours de la part du public. Il comprenait bien ce qu’il représentait pour tout le monde. C’était à lui seul un mode d’emploi ambulant de la société française.
Ça coïncidait avec l’époque où il était à Europe. Il parlait librement, disait ce qu’il pensait des mesures, des lois : il ne se privait pas puisqu’il était en direct, et savait que ce qu’il disait ne serait pas monté. Il s’est un peu fait prendre au jeu, c’est devenu plus gros que lui. Le sérail n’aimait pas Coluche, n’en voulait pas. Il s’est retrouvé coincé ; les émissions artistiques ne l’invitaient plus parce qu’il était candidat, et les émissions politiques ne l’invitaient pas car il les ridiculisait. Épuisé, il s’est fait déborder par le système, qui s’est joué de lui.
Mais il était obstiné, quand il avait une idée, il ne l’abandonnait pas. Il a analysé la façon dont il pouvait agir, ça a donné plus tard les Restos du Cœur. Les Restos, c’est sa façon, en qualité de civil, de citoyen, de faire bouger les choses, de bousculer le sérail. C’est son pavé dans la mare !
Loin de l’image d’une grosse machine caritative liée à l’aide alimentaire, les Restos sont à l’origine d’une multitude d’initiatives d’insertion. C’était son idée ?
Les Restos, ça lui a longtemps trotté dans la tête : il fallait secouer les gens et aider ceux qui ne s’en sortaient pas. Ce n’était pas un « coup », c’était fondamentalement mûri, et typique de l’attention qu’il portait aux gens qu’on ne veut pas ou que l’on ne peut pas écouter.
Au-delà du fait de pouvoir se nourrir, l’aide alimentaire permet aux gens d’avoir un contact humain. Mais très rapidement, dès la fin de la 2e campagne, on s’est aperçu que la situation était encore plus grave quand on fermait a fermé les portes, le 31 mars. Faire de l’aide alimentaire toute l’année est impossible, car trop lourd en fric, en implication. Les restos l’hiver, c’est neuf mois de mise en route.
Par contre, la nécessité de garder le contact s’est vite imposée. Ce n’est pas en trois mois d’aide alimentaire que l’on va sortir quelqu’un de la misère.
Reprendre espoir, amener les plus précaires vers le point d’élan, en les incitant à porter un autre regard sur eux, c’est ça qui nous intéresse, pas d’aligner les paniers-repas. Nous, le record qu’on aimerait battre, c’est celui du nombre de personnes qui réintègrent chaque année la vraie vie. Et la vraie vie, ce n’est pas la misère, la violence, l’alcool, le fait de ne pouvoir ni se nourrir, ni se loger, y compris lorsqu’on a du travail !
Quand on a développé les activités d’insertion, des nostalgiques nous ont accusés de ne pas respecter les fondamentaux. C’est un réflexe bien connu : il y a ceux qui ont vu l’ours et qui sont dépositaires de ça : « J’y étais, au premier jour, j’ai vu l’ours. » Et qui veulent surtout que rien ne bouge, quitte à perdre le sens premier de la démarche. « On a fait de l’aide alimentaire, on continuera, point. » C’est pour respecter la solidarité qu’on a développé d’autres formes d’aide, comme les Jardins, les ateliers, les réhabilitations de logement, la lutte contre l’illettrisme…
La « loi Coluche », qui permet de défiscaliser à hauteur de 60 % les dons faits aux associations d’aide aux personnes en difficulté, c’est la même démarche. C’est une avancée fondamentale pour les citoyens, une façon de dire : « Je veux que mon argent aille à tel endroit. » Jusque-là, c’était une prérogative qui n’appartenait qu’à l’État.
Que dirait Coluche de la situation en France aujourd’hui ?
Je ne parle jamais pour lui. Pour ma part, il nous manque terriblement au quotidien quelqu’un qui, comme lui, a le sens des raccourcis, qui ne monte pas des usines à gaz. Des pays bougent, où les gens ont leur chance. Ici, on crève d’être hiérarchisés, « légalisés », corsetés. En France, on crève d’être vieux.
Propos recueillis par Manuel Marsetti de Passion Mutuelle
http://www.motomag.com/Interview-Coluche-Je-l-ai-toujours-5076.html#.VXWqHc_tlHw
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