Depuis un demi-siècle, les projets d'adaptation de Tintin au cinéma n'ont pas manqué, en Europe comme aux États-Unis. Steven Spielberg aura lui-même patienté trois décennies avant de réaliser son rêve. http://plus.lefigaro.fr/tag/steven-spielberg
Paris, été 1981. Steven Spielberg est en France pour assurer la promotion de son film Les Aventuriers de l'Arche perdue. Dans la bouche des journalistes qui l'interviewent revient à plusieurs reprises un nom qu'il ne connaît pas: Tintin. On lui parle de similitudes frappantes entre l'archéologue Indiana Jones et le reporter de Hergé. Sa curiosité piquée, il envoie son assistant lui acheter l'intégralité des albums de Tintin. Le soir même, dans sa chambre d'hôtel, Spielberg se plonge dans Les 7 Boules de cristal. C'est le coup de foudre. «J'ai dévoré tous les albums dans la foulée, se remémore le cinéaste. Sans lire le texte puisque je ne lis pas le français, mais en comprenant parfaitement l'histoire, ce qui prouve le génie de la narration visuelle que possédait Hergé.» Mais pour l'heure, il doit rentrer aux Etats-Unis préparer le tournage de son film suivant: une histoire d'amitié entre un jeune garçon et un petit extraterrestre à l'index lumineux. Le film est écrit par une amie, Melissa Mathison. Qui lui avoue adorer elle aussi Tintin, dont elle a découvert les albums en faisant du baby-sitting dans une famille française. Au début de l'été 1982, E.T. l'extraterrestre sort sur les écrans américains et devient immédiatement un phénomène du box-office. En Europe aussi.
Fin 1982, à Bruxelles, Alain Baran, le jeune et dynamique secrétaire particulier de Hergé, reçoit un appel des éditions Casterman, qui publient Tintin. Une certaine Kathleen Kennedy, productrice hollywoodienne et collaboratrice de Steven Spielberg, veut savoir si les droits d'adaptation de Tintin sont disponibles. Baran raconte: «Hergé était déjà très affaibli par sa leucémie, mais il a appris la nouvelle avec beaucoup d'enthousiasme. Il m'a dit tout de suite: "Il faut aller les voir." Comme il ne pouvait plus voyager et qu'il m'accordait toute sa confiance, je me suis retrouvé dans l'avion pour Los Angeles.» Baran débarque en janvier 1983 dans le petit préfabriqué qu'occupent Spielberg et ses collaborateurs au sein des studios Universal. Le contact fut particulièrement chaleureux, se souvient le secrétaire de Hergé: «Spielberg comme Kathleen Kennedy étaient très déterminés. Ils rêvaient de produire une trilogie dont Spielberg réaliserait le premier épisode avant de confier les deux suivants à d'autres réalisateurs, dont son ami François Truffaut. À l'issue de l'entretien, ils m'ont demandé de leur établir un document où figureraient les attentes de Hergé.» Retour à Bruxelles. Fin février, Hergé reçoit une lettre d'intention de la part de Spielberg. Un texte long et détaillé, au terme duquel on l'engage à renoncer au droit moral sur son œuvre, comme le veut la coutume hollywoodienne. Alain Baran, quoique conquis par Spielberg, est inquiet: Hergé n'a pas vraiment apprécié les adaptations en dessin animé du studio Belvision ni les deux films produits dans les années 60, Les Oranges bleues et Le Mystère de la Toison d'or. Or, comme le souligne Baran, «cette fois-ci, le danger est démultiplié, car ce n'est plus une production locale mais internationale, qui va notamment s'adresser à un public qui ne connaît pas Tintin».
Alain Baran fait part de son inquiétude à Hergé. Qui, contre toute attente, lui répond:«Spielberg est un créateur de génie, et moi-même, en tant que créateur, je ne supporterais pas qu'on vienne surveiller mon travail par-dessus mon épaule. Laissons-le donc faire son film. Il est possible que je ne retrouve pas mes personnages mais ce n'est pas grave, car Spielberg va y ajouter sa personnalité. L'essen tiel, pour moi, c'est d'aider les albums de Tintin à être diffusés encore plus largement.» Hergé choisit donc de faire confiance au talent de Spielberg, dont il admire notamment le premier long-métrage, Duel, qui racontait le périple d'un automobiliste traqué sans relâche par un camion fou. «Ce que Hergé appréciait beaucoup dans les films de Spielberg, se remémore Alain Baran,c'est ce qu'il appelait son "intensification de la narration". Par exemple, la fin de Duel,avec le camion qui n'en finit plus de chuter au ralenti, dans un mugissement de tôles froissées. Je me souviens même qu'il m'avait montré, en guise de comparaison, la chute d'un avion dans l'un des dessins animés Tintin et qu'il m'avait dit: "Regarde, ça dure à peine une seconde, l'effet est complètement raté, il n'y a aucune intensité."»
Hergé et Spielberg finissent par se parler au téléphone et le premier invite le second à Bruxelles pour la fin mars. La rencontre n'aura jamais lieu: le 3 mars 1983, Hergé meurt. Il avait 76 ans. Mais Spielberg, toujours motivé, maintient la date de sa venue en Belgique. Accompagné de Kathleen Kennedy et de la scénariste Melissa Mathison, il est accueilli avec émotion par Fanny Remi, la femme de Hergé, et Alain Baran, qui lui ouvrent les archives de l'artiste. Comme il l'avait dit à Hergé, le cinéaste tient à rassurer les héritiers et leur promet de rester fidèle à l'œuvre originale. Un an plus tard, lorsqu'il retrouvera Fanny Remi et Alain Baran à New York pour la signature des contrats, il leur dira: «Je ferai tout pour que vous soyez fiers de moi.» A cette époque, le projet commence à prendre forme. Filmé en prises de vues réelles, le Tintin de Spielberg doit mettre en scène le jeune acteur de E.T., Henry Thomas, dans le rôle du petit reporter, et Jack Nicholson dans celui du capitaine Haddock. Melissa Mathison, elle, commence à plancher sur son scénario, qui reprend certains éléments de différents albums, mais au sein d'une intrigue complètement nouvelle: Tintin aux prises avec des trafiquants d'ivoire en Afrique. Pendant ce temps, Spielberg tourne La Couleur pourpre. Épuisé par ce tournage éprouvant, il envisage de confier la réalisation de Tintin à son ami Roman Polanski. Puis finit par stopper net le projet. «N'ayant pas reçu un scénario qui me satisfasse totalement, explique le réalisateur, j'ai préféré laisser l'opportunité de concrétiser ce projet à quelqu'un d'autre et j'ai laissé les droits d'adaptation expirer.»
Dans les années 90, après le succès fracassant de Jurassic Park, Spielberg s'éloigne du pur divertissement pour tourner des films plus graves comme La Liste de Schindler ou Il faut sauver le soldat Ryan. Tintin regagne donc tranquillement les rivages européens. Mais les espoirs de le voir prendre vie sur grand écran renaissent.
En 1995, le réalisateur Alain Berbérian, qui vient de connaître le succès avec La Cité de la peur, le premier film des Nuls, s'allie avec le producteur Claude Berri pour mettre sur pied une adaptation du diptyque Les 7 Boules de cristal/Le Temple du soleil. Nanti d'un gros budget (120 millions de francs) et d'un scénario approuvé par les héritiers de Hergé, Berbérian envisage un casting prestigieux: Jean Reno en capitaine Haddock, Darry Cowl en professeur Tournesol, Sami Frey en roi des Incas. Mais le projet patine, faute de Tintin. «Je souhaitais un jeune acteur inconnu entre 17 et 20ans, explique Alain Berbérian, alors que Claude Berri penchait pour une star trentenaire. On a donc cherché en prospectant chacun dans sa direction. Au fond, je pense que si nous avions trouvé le jeune homme de 18ans que je voulais, Claude se serait rangé à mon avis. Hélas, ce ne fut pas le cas et l'enthousiasme pour le projet est retombé avant de disparaître lorsque Claude Berri est parti produire le premier Astérix.»
Au début des années 2000, un nouveau projet Tintin pointe le bout de sa houppette. Cette fois sous la forme d'une adaptation du Lotus bleu et de Tintin au Tibet par le cinéaste belge Jaco Van Dormael (Toto le héros, Le Huitième Jour). Projet complexe, mélangeant images de synthèse et prises de vues réelles, le film se veut une rêverie poétique autour du personnage de Tintin et de son histoire d'amitié avec Tchang. Il mêlerait fiction et réalité (Hergé et le vrai Tchang faisant partie des personnages) et multiplierait les mises en abyme (au détour d'un col de montagne, apparaîtrait par exemple l'orchestre qui joue la musique du film). Bref, un scénario un peu trop fantaisiste pour Nick Rodwell, le mari de Fanny et administrateur de la société Moulinsart, qui gère l'héritage de Hergé. «Le projet s'est arrêté le jour où il devait démarrer, témoigne Jaco Van Dormael.
Au moment de signer le contrat approuvé par toutes les parties, Nick a refermé son stylo et nous a demandé d'attendre parce qu'une production française voulait lui proposer une autre adaptation. Puis ça s'est enlisé. Mais, fondamentalement, je crois qu'ils attendaient autre chose que ce que j'avais écrit. Ce sont des héritiers, pas des auteurs. Ils protègent la mémoire plus que ne le ferait un auteur lui-même. Je crois qu'ils s'attendaient à un film garanti grand public.»
Au même moment, Jean-Pierre Jeunet, auréolé du succès d'Amélie Poulain, envisage un projet tout aussi loufoque, mettant en scène un Tintin réaliste, grande gueule et amateur de femmes qui vivrait des aventures palpitantes dans le monde entier, puis les raconterait à son ami Hergé, qui les transformerait en bandes dessinées ! Ayant appris que le projet de Van Dormael est arrêté, Jeunet rencontre les héritiers de Hergé pour leur expliquer son concept. Au cours du rendez-vous, il prend conscience que Van Dormael n'est même pas au courant de l'arrêt de son propre film ! «Quand j'ai compris cela, se rappelle Jeunet, je leur ai dit qu'on se reverrait quand tout serait clarifié et l'histoire s'est arrêtée là.»
source
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